N° 739 du Canard Enchaîné – 27 Août 1930
N° 739 du Canard Enchaîné – 27 Août 1930
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27 août 1930 — “Deauville ! Deauvide !” : Henri Jeanson vide la coupe du snobisme
Une station chic, un ennui de luxe et un monde qui s’amuse encore au bord du gouffre
Dans cette chronique brillante et acide, Henri Jeanson transforme Deauville en théâtre de la vanité. Entre “ennui chic” et champagne tiède, il dépeint une bourgeoisie qui joue à se divertir pendant que la crise approche. Le rire, ici, a le goût amer d’un apéritif mondain avant la tempête.
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Deauville ! Deauvide !
Le 27 août 1930, Le Canard enchaîné publie à la une une chronique d’Henri Jeanson, titrée « Deauville ! Deauvide ! » — un bijou de satire mondaine qui résume, mieux que n’importe quel éditorial, la vacuité élégante de la France des “Années folles” finissantes. À travers un simple séjour balnéaire, Jeanson peint le portrait d’une société qui, entre crise économique et snobisme chronique, tourne en rond dans le vide de son propre luxe.
Le texte, faussement léger, adopte la forme d’un reportage ironique. Le narrateur se rend à Deauville “parce qu’il faut bien faire comme tout le monde”. Il y découvre non pas la joie, mais “l’ennui de qualité” — “un ennui élégant, un ennui chic, un ennui mondain.” Le ton est donné : Jeanson raille la bourgeoisie qui a fait de Deauville son sanctuaire, ce petit Versailles des bains de mer où l’on exhibe sa richesse en guise de passeport social.
Avec un art consommé du dialogue, il observe les “hivernants” perdus entre cocktails et casinos, ces “gens qui se demandent si j’ai apporté des vivres”, ces femmes qui “louent une villa et qui mettent une modeste chambre à ma disposition… sans ça”. Tout est dit de l’hypocrisie polie, de la conversation creuse, de la vacuité des apparences. Derrière les phrases anodines, le chroniqueur traque le désarroi d’une classe sociale qui ne croit plus à rien sinon à la mise en scène d’elle-même.
Le titre — Deauville ! Deauvide ! — condense à lui seul le message : sous le vernis doré du luxe, le néant. En 1930, la France sort d’une décennie d’illusion prospère : les Années folles s’éteignent, Wall Street vient de s’effondrer, et la crise s’annonce déjà en Europe. Tandis que les ouvriers et paysans affrontent la misère, les “contemporains pratiquent l’amour-propre de l’argent” et s’enorgueillissent d’un “métier vert, les pieds bien plantés sur deux continents”. C’est tout le génie de Jeanson : faire de l’humour une arme sociale. Son portrait de Deauville devient un miroir où la haute société se reflète, grotesque et vide, incapable de penser le monde autrement qu’à travers ses distractions.
Mais le style Jeanson, c’est aussi une musique. Il mêle légèreté et mélancolie, feinte désinvolture et regard de moraliste. “Je ne m’avance vers eux ni liesse, ni amertume, cette prose qui traîne leur fatigue.” Derrière la verve, on sent poindre un désenchantement : celui d’un chroniqueur lucide sur la comédie humaine, mais encore attaché à l’élégance du verbe.
À la fin, il reste seul, dans le hall désert d’un hôtel vide. “Le monde continue à jouer... il ne faut pas interrompre les belles parties.” C’est la phrase d’un moraliste moderne : le jeu continue, même quand le monde s’effondre. En une page d’humour, Henri Jeanson livre une radiographie impitoyable de la société française à la veille de la crise — frivole, aveugle, persuadée que tout est encore “classe” tant qu’on garde la tête haute et le verre plein.





