N° 913 du Canard Enchaîné – 27 Décembre 1933
N° 913 du Canard Enchaîné – 27 Décembre 1933
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La Mare aux Canards
Le 27 décembre 1933, Le Canard enchaîné clôt son année dans la vase — littéralement.
Dans sa “Mare aux Canards”, la rédaction se moque des cumulards, des ministres repus et des réhabilités de la République.
Pierre Laval, André Tardieu, les Rothschild et le Goncourt : tous finissent éclaboussés.
Quelques jours avant l’affaire Stavisky, le Canard saisit déjà le parfum de la corruption ambiante.
Sous les blagues, une vérité : la République s’enfonce, mais le rire, lui, surnage.
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27 décembre 1933 : la Mare aux Canards crache ses vérités de fin d’année
Dernier numéro de 1933, dernière Mare aux Canards avant que n’explose la bombe Stavisky. En cette fin de décembre, la France politique flotte dans une boue d’affaires, de cumuls et de “réhabilitations” plus obscènes les unes que les autres. Le Canard, lui, garde le cap : le trait acide de Pruvost et la verve collective de la rédaction offrent un panorama d’ironie mordante sur la République parlementaire finissante.
Sous la mare, c’est toujours la vase — mais on y nage avec grâce.
Cumul, cumulard, cumulus
En haut de page, le dessin de J. Pruvost donne le ton : un petit homme pensif devant les sabots de son cheval.
Légende :
“Veinard ! Ça t’a fait quatre sabots à mettre dans la cheminée !”
Nous sommes au temps des cumuls : celui des mandats, des fonctions, des rentes et des privilèges. L’année 1933 s’achève sous le règne du double portefeuille, du député-maire-ministre et du sénateur-industriel. Le Canard ne se contente pas de rire : il décortique la structure même de ce parasitisme d’État.
Sous le titre “L’autre tandem”, la chronique raille le couple Laval–Tardieu, symbole parfait de la duplicité politique. “Le tandem n’est pas mort”, écrit le journal, “il s’agit seulement de savoir quel tandem-Laval !”
Pierre Laval, l’ex-socialiste devenu ministre plénipotentiaire du capital, est déjà sur la trajectoire qui le mènera dix ans plus tard à Vichy.
Quant à André Tardieu, ex-président du Conseil, fraîchement rhabillé en “réhabilité” de la République, il continue d’inspirer les sarcasmes du journal.
On se renvoie les portefeuilles, on partage les ministères : le pouvoir devient une foire d’empoigne, une mécanique de renvois d’ascenseur.
Le foie gras de Rothschild
Dans “Le foie gras de Rothschild”, le Canard vise encore Tardieu. L’ancien homme fort du Bloc national, chassé puis rappelé, vient de se livrer à un nouvel exercice d’autosatisfaction politique.
Le journal évoque “le gaz” qui monte à la tête du ministre, son “foie gras” de privilégié, sa verve d’ancien “discoureur repu”. Tout est dit : le verbe haut, la panse pleine, l’éloquence du notable.
La satire s’inscrit dans la tradition du Canard des années 1920 : la critique du verbiage parlementaire et du train de vie des ministres, symbole d’une République gavée.
“En pleine vase” : la politique embourbée
Plus bas, la rubrique “En pleine vase” résume à elle seule le désenchantement du pays.
On y lit cette phrase, d’un humour noir implacable :
“Pour de la propreté, c’est de la propreté.”
On y parle de Georges Claude, industriel et académicien compromis dans des affaires financières, et de Roux-Costadau, figure secondaire de la droite, tous deux englués dans le marigot politique. Le Canard joue sur les mots : “La vase” n’est pas seulement la fange des affaires, mais l’état moral d’un régime qui patauge.
L’humour comme scalpel
Ce qui frappe dans cette page, c’est l’extraordinaire variété de ton : on passe d’un trait de Pruvost à une chronique littéraire, d’une pique parlementaire à une farce administrative.
Sous les plaisanteries, le journal livre une radiographie de la France de la crise :
- le chômage monte,
- les scandales financiers se multiplient,
- la confiance publique s’effondre.
Mais Le Canard transforme ce désastre en comédie : un “grand cabaret de la République” où chaque ministre joue son numéro.
Ainsi, “Le budget de la police” tourne en ridicule le ministre de l’Intérieur Eugène Frot, qui justifie les coupes budgétaires en expliquant que “le chef de l’État ne paye pas son gendarme personnel”. L’absurdité bureaucratique devient un gag.
Dans “Le ministre inconnu”, le journal imagine un ministre littéralement oublié, que personne ne parvient à identifier : satire grinçante d’une époque où les ministres tombent comme des mouches — quatre gouvernements se sont succédé en 1933.
Le procès Goncourt et la guerre des lettres
Même la littérature n’échappe pas à la mare. Dans “Le procès Goncourt”, Le Canard ironise sur les querelles intestines autour du prix Goncourt 1932.
Louis-Ferdinand Céline et son Voyage au bout de la nuit avaient scandalisé l’Académie, qui lui préféra Guy Mazeline.
Bénard, sous pseudonyme, s’en amuse : “Il faut en conclure que le Goncourt ne se donne plus à la littérature, mais à la correctionnelle.”
La formule, reprise dans plusieurs gazettes, résume la rupture entre les “lettres bourgeoises” et la littérature vivante : Le Canard, lui, a choisi son camp.
Une République en apnée
Décembre 1933 : au moment où paraît cette Mare aux Canards, la France est au bord de la crise.
Le scandale Stavisky, encore souterrain, commence à filtrer. Le Canard, par son ironie diffuse, en perçoit déjà les signes : les “cumulards”, les “réhabilités”, les ministres “inconnus” — tous annoncent la débâcle morale qui mènera, six semaines plus tard, aux émeutes du 6 février 1934.
Cette Mare fonctionne alors comme une chronique d’avant-sinistre : sous la blague et le calembour, la peur sourd.
Mais au lieu de prêcher, Le Canard rit — et ce rire-là, d’une lucidité effrayante, est son arme la plus tranchante.





