N° 2980 du Canard Enchaîné – 7 Décembre 1977
N° 2980 du Canard Enchaîné – 7 Décembre 1977
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CENTRAFRIQUE : SUIVEZ LE GUIDE !
Bangui, 1977 : après le sacre, voici le safari des combines. Patrice Vautier raconte comment la SAFOV, société de safaris, se fait “amender” pour des délits imaginaires avant d’être tout bonnement avalée par ordonnance impériale : terrain, hôtel, matériel, tout passe à Bokassa. Un acheteur crédule aligne 50 briques, puis découvre qu’il peut “récupérer” la société si l’empereur prend 34%. Et au milieu, Michel Droit : interview flatteuse, médaille de Napoléon, licences de chasse… Suivez le guide.
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CENTRAFRIQUE : SUIVEZ LE GUIDE… ET SURTOUT LE GUIDE DU GUIDE
Dans le Canard du 7 décembre 1977, Patrice Vautier fait un safari qu’on ne trouve dans aucun guide Michelin : celui des combines tropicales où l’on abat la vérité à bout portant, puis on empaille le cadavre en “coopération”. Le décor est connu, mais rarement éclairé en plein soleil : Bangui, Bokassa Ier, l’Empire en carton doré, et, dans le rôle du “Français libre d’ancien régime”, Michel Droit, micro en bandoulière et fusil pas très loin.
Le titre est parfait : “Centrafrique : suivez le guide !” Parce qu’ici, le guide n’indique pas les pistes, il indique les portes. Et quand un homme de médias sert de pass VIP, même les hyènes administratives deviennent végétariennes.
LA LÉGENDE DORÉE : DE LA GRANDEUR AU MICRO
Vautier commence par la flatterie en vitriol : Michel Droit, présent au sacre, s’est entretenu avec “Sa Majesté Impériale” sur France-Inter. Le genre d’interview où l’on ne pose pas des questions, on cire la couronne. Droit, dans son registre, lâche des formules à la confiture d’Histoire : “sens religieux”, “titre qu’on ne vous retirera jamais”, et cette musique de fond qui fait passer un coup d’État permanent pour une tradition folklorique.
C’est là que le papier pique juste : l’Empire, ce n’est pas seulement un tyran en uniforme trop grand, c’est une bande-son. Sans journalistes qui parlent d’“âme”, un sacre reste une facture. Avec des journalistes qui parlent d’“âme”, la facture se maquille en destin national.
LE SAFARI DES AFFAIRES : ICI, ON NE NATIONALISE PAS, ON VOLE
Le cœur de l’article, c’est l’histoire de la SAFOV, société de safaris. Un feuilleton où la faune la plus agressive n’est pas celle qui a des crocs. Vautier remonte la piste : Michel Droit, passionné de chasse, a présidé la SAFOV (au début des années 70). Puis arrive Fiorenza, “marchand de biens”, qui prend le contrôle, vire Droit “ad fauves” et transforme la société en proie.
Et là, on passe de la savane au code pénal. Novembre 1976 : le Premier ministre Ange Patassé inflige à la SAFOV une “amende” gigantesque pour des délits “imaginaires”. Sauf que ce n’est pas une amende : c’est une “transaction”. Mot commode, comme un filet de camouflage. Cinq mois plus tard, Fiorenza découvre l’arnaque quand le délai est passé. Trop tard : l’administration a déjà refermé la gueule.
Mars 1977 : ordonnance impériale, fin des activités, et Bokassa s’approprie terrain, hôtel, bâtiments, matériel. Et Vautier lâche la phrase qui résume tout le manuel : “chez Bokassa, on ne nationalise pas, on vole.” Voilà. Pas besoin de longs colloques sur la nature de l’État : on a la définition, imprimée noir sur blanc, avec l’odeur d’encre et de poudre.
LE “ROMBIER” BALLANSAT : 50 BRIQUES ET UNE PART DU LION
Le plus beau dans cette histoire, c’est la naïveté rentable des seconds couteaux. Un certain Ballansat veut acheter la SAFOV. Il aligne 50 briques (la moitié du montant convenu), file à Bangui… et apprend que la société n’existe plus. Détail. Mais, magie impériale : elle “reviendrait” si l’empereur est associé à 34%.
Vous lisez bien : on vous vole, puis on vous revend le vol, et on appelle ça “économie mixte”. Le capital, précise Vautier, est représenté par le terrain et le matériel “piqués”. Le brigandage se transforme en montage juridique, et le montage juridique se transforme en respectabilité. On ne blanchit pas l’argent : on blanchit la prédation.
Résultat : une nouvelle structure naît, la SAFECA. Et, comme par hasard (ce hasard très françafricain qui sent le cigare), Michel Droit est “très copain” avec Ballansat. Il l’emmène au couronnement. Le cercle est bouclé : l’empire a ses “investisseurs”, l’investisseur a ses appuis, et l’appui a sa médaille.
MÉDAILLE DE NAPOLÉON, LICENCE DE CHASSE : LA COOPÉRATION EN PEAU DE LÉOPARD
Le bouquet final est un bijou : Michel Droit offre à Bokassa une médaille de Napoléon. L’empereur, “satisfait”, délivre à quelques compères des licences de guide de chasse honoraires. On se tient chaud entre hommes sérieux : l’un distribue des interviews, l’autre distribue des permis.
Et Vautier termine sur une image parfaite : Michel Droit, en tenue léopard, va pouvoir “safariser à l’envie”. Les vautours tremblent. Oui, les vautours. Parce qu’en 1977, la vraie charogne, ce n’est pas seulement la carcasse des institutions centrafricaines. C’est aussi l’indécence française qui vient se servir, sourire compris, micro compris, et morale rangée dans la glacière avec les petits fours du sacre.
Ce papier, au fond, ne parle pas uniquement de Bokassa. Il parle du système qui rend Bokassa fréquentable, photogénique, interviewable. Il parle d’un moment où la République, en Afrique, sait très bien distinguer le bien du mal… et choisit surtout ce qui paie, ce qui “arrange”, ce qui fait réseau. Le guide, finalement, n’indique pas la route : il indique la caisse.





