N° 100 du Canard Enchaîné – 29 Mai 1918
N° 100 du Canard Enchaîné – 29 Mai 1918
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Lettre aux civils qui veulent nous écrire, par Henri Béraud
Béraud, lui-même engagé dans le conflit, prend la plume pour donner ici le ton que doit arborer une lettre à un poilu, les mille dangers et niaiseries de circonstance que le « civil » devra éviter pour que sa lettre ne serve pas à allumer la pipe du soldat… Écrire aux poilus n’est pas une affaire de lyrisme : il règle leur compte aux civils qui s’épanchent depuis l’arrière. Trop de pathos, trop d’enthousiasme patriotique ou de lamentations – tout cela tombe à plat dans la boue des tranchées. Le Canard rappelle avec humour et cruauté que la guerre se vit autrement que dans les envolées épistolaires, et qu’un colis de conserves vaut mieux qu’un discours enflammé.
Restrictions, par Bécan
Profiteurs, dessin de Amos –
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Sous le titre Lettre aux civils qui veulent nous écrire, Henri Béraud s’attaque à un sujet qui touche à la fois l’intime et le collectif : la correspondance entre le front et l’arrière. En 1918, les lettres constituent un lien vital, mais elles deviennent aussi un terrain d’incompréhension. Béraud en fait une satire grinçante, soulignant à quel point les poilus, « destinataires exigeants », accueillent souvent avec colère ou ironie les missives bien intentionnées de leurs proches.
L’article commence par un parallèle ironique : jadis, dit-il, les explorateurs exotiques recevaient des lettres inadaptées à leur réalité, comme si la distance rendait la communication impossible. Aujourd’hui, les soldats, pourtant si proches géographiquement de Paris, se retrouvent aussi incompris que les pionniers du bout du monde. Cette comparaison installe le ton : il ne s’agit pas de dénoncer la mauvaise foi des civils, mais de montrer combien le fossé entre l’expérience du front et la vision de l’arrière est infranchissable.
Béraud dresse ensuite la typologie des maladresses : les lettres trop joyeuses, qui paraissent indécentes à ceux qui pataugent dans la boue ; les lettres trop tristes, qui alourdissent encore le fardeau ; celles trop inquiètes, qui exaspèrent ; celles trop solennelles, qui sonnent creux ; et surtout les envolées lyriques glorifiant la guerre. Ces dernières sont les plus détestées, car elles transforment la souffrance en matière à exaltation patriotique. L’auteur raille ces épîtres emphatiques, parsemées de « vos glorieux travaux », que le soldat finit par utiliser pour allumer sa pipe. Une manière de rappeler que, dans les tranchées, les mots n’ont pas le même poids que les vivres.
Le texte, derrière son ironie, révèle la lassitude des combattants face aux discours officiels et aux illusions entretenues par l’arrière. Il s’inscrit dans la ligne éditoriale du Canard enchaîné, qui depuis 1916 s’attache à démolir les clichés héroïques de la guerre, tout en rendant justice à la vérité du quotidien des poilus. Béraud conclut en conseillant aux civils d’écrire simplement sur la vie ordinaire, sur Paris, Lyon, les ateliers, les femmes, le vin, la littérature… et surtout d’envoyer des conserves plutôt que des sermons.
Ainsi, cet article n’est pas seulement une critique de style, mais une véritable revendication : celle du droit à une communication sincère, dénuée de fausse grandeur, entre ceux qui se battent et ceux qui attendent. Dans la boue des tranchées, mieux vaut un mot simple et vrai qu’une envolée grandiloquente.

 
      



