N° 111 du Canard Enchaîné – 14 Août 1918
N° 111 du Canard Enchaîné – 14 Août 1918
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Nouveau style – EPITRE à NN. SS. Pierre, Jean, Barnabé, Propper, Antoine, Eusèbe, et Polycarpe, Cardinaux de France, par Henri Béraud
Dans son double tir nourri de l’été 1918, Henri Béraud vise large : d’un côté, les cardinaux qui confondent bénitier et état-major ; de l’autre, Léon Daudet et ses néologismes « médico-journalistiques » aussi amphigouriques que ridicules. Entre satire anticléricale et moquerie stylistique, le futur prix Goncourt taille en pièces ceux qui prétendent guider la nation, qu’ils soient prélats ou polémistes. Une leçon de lucidité rageuse, en pleine guerre, sur les illusions et les impostures de la parole publique.
« Dans les bégonias »
Le motif des bégonias refait surface, comme un refrain moqueur. Cette fois, il s’agit de pastiches encore plus outrés, où les fleurs deviennent les témoins grotesques du sacrifice et des larmes patriotiques. Le comique naît de la répétition et de la surenchère, avec la complicité du public lecteur, qui s’amuse à grossir le trait.
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À l’été 1918, Henri Béraud, encore plume montante du Canard enchaîné, trouve dans l’actualité de quoi exercer son ironie féroce. Deux textes en témoignent dans l’édition du 14 août : une « Épître » adressée aux cardinaux de France, et une chronique consacrée au « Nouveau style » de Léon Daudet.
L’« Épître » est une lettre ouverte au ton irrévérencieux, tournée en dérision du discours tenu par sept prélats français, qui, dans une circulaire pastorale, en appelaient au « Dieu des armées » pour garantir la victoire. Béraud, fidèle à son anticléricalisme mordant, se demande ce que l’on dirait d’un citoyen ordinaire tenant les mêmes propos dans un débit de boisson ou dans le métro : sans doute serait-il pris pour un illuminé. Qu’un cardinal, en revanche, se livre à ce mélange de superstition et de politique, voilà qui se drape d’une légitimité suspecte. L’auteur souligne le ridicule de cette invocation : au moment même où les poilus risquent leur peau, on prétend que la messe et les mitres seraient plus efficaces que l’artillerie lourde ou les plans de Foch. Le Canard met ainsi en lumière une vieille tentation française : substituer la rhétorique sacrée à la réalité des combats, comme si la victoire devait venir d’en haut et non des tranchées.
Mais Béraud n’épargne pas davantage le verbe de ses contemporains journalistes. Dans « Nouveau style », il s’en prend à Léon Daudet, figure de l’Action française, accusé de pratiquer un jargon pseudo-scientifique qu’il baptise « médico-journalistique ». À grand renfort de termes inventés ou malmenés, Daudet se drape de gravité savante mais ne produit, selon Béraud, qu’un sabir ridicule. Le pamphlétaire du Canard s’amuse à démonter cette langue truffée de barbarismes et de prétentions médicales, qu’il compare à une « méthode daudetiste » de camouflage verbal.
Ce double exercice révèle un fil conducteur : pour Béraud, la guerre n’excuse pas tout, ni les sermons des prélats, ni les poses grandiloquentes des polémistes. La lucidité impose de ne pas céder aux faux prestiges – ceux de l’autel comme ceux de la plume. Dans une France qui vacille encore sous les coups de 14-18, le Canard enchaîné continue ainsi de se poser en contre-pouvoir, prêt à rappeler que la parole publique, lorsqu’elle s’égare, est elle-même un danger.
En août 1918, les lignes de Béraud ne sont pas qu’une boutade : elles incarnent l’une des grandes missions du journal, celle de dégonfler les baudruches, fussent-elles cardinalices ou royalistes, pour replacer le débat sur un terrain plus concret – celui de la raison et de la liberté de penser.





