N° 126 du Canard Enchaîné – 27 Novembre 1918
N° 126 du Canard Enchaîné – 27 Novembre 1918
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Quinze jours après l’armistice, on peut lire en manchette : Le Canard Enchaîné est en vente à Metz et à Strasbourg (France)
En r’gardant passer les Civils – Article d’André Dahl, peignant sur un mode satirique le défilé victorieux des embusqués de l’arrière. Le dernier carré, par Henri Béraud – Il met en scène Daudet, Maurras, Barrès, Hervé, Béranger pour une charge finale à la baïonnette …
🪶 27 novembre 1918 : Quand l’armistice inspire la satire
Béraud enterre les défaites à coups de tomates, Dahl célèbre le défilé des civils
Dans ce numéro, le Canard se paye deux morceaux de bravoure : Henri Béraud raille la petite armée des polémistes de l’arrière, qui rejouent la guerre en paroles et se prennent des tomates pour obus, tandis qu’André Dahl croque le défilé parisien des corporations civiles, plus frais que les poilus usés par quatre ans de tranchées. Deux visions de l’après-guerre qui rappellent que, même en novembre 1918, la paix se gagne aussi par l’humour.
Les problèmes de la paix, dessin de Bécan.
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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📝 Henri Béraud : Le Dernier Carré
Avec Le Dernier Carré, Henri Béraud orchestre une charge au vitriol contre les maîtres de plume de l’Action française — Barrès, Maurras, Daudet et consorts — qu’il dépeint transformés en bataillon grotesque. Au lieu de fusils, ils portent leurs rancunes et leurs rhétoriques comme des armes rouillées. À leurs côtés, quelques vieilles gloires qu’on traîne au front de l’opinion comme de faux héros fatigués. Résultat : un tableau où la guerre devient parade, où la bravoure se résume à marcher « au pas cadencé » dans le boyau blanc… jusqu’à ce qu’une tomate vienne faire office de grenade.
Béraud joue ici de la caricature à plein régime : ces « soldats » de papier s’agitent, pérorent, gesticulent, mais finissent balayés par le ridicule. Le véritable poilu, celui qui rentre du front avec ses blessures et sa lassitude, observe la scène avec un sourire en coin : lui n’a pas besoin d’un « cordon de troupes » pour savoir ce qu’est la guerre. À travers ce texte, le Canard règle ses comptes avec ceux qui, planqués de l’arrière, se sont arrogé le rôle de stratèges de la nation.
En filigrane, c’est une leçon de mémoire : à peine l’armistice signé, Béraud rappelle que la victoire appartient aux anonymes des tranchées, pas aux histrions de la presse nationaliste. La tomate lancée au visage des orateurs vaut ici comme une justice populaire : moins sanglante que les balles, mais tout aussi définitive pour ridiculiser les faux braves.
📝 André Dahl : En r’gardant passer les Civils
À côté de ce pamphlet guerrier, André Dahl offre un contrepoint piquant avec son évocation du « défilé des civils » sur les Champs-Élysées. Point de boue ni de sang : place aux marchands de marrons, aux fabricants de nouilles, aux tondeurs de chiens et même aux robinetiers, tous alignés comme une armée flambant neuve. Le poilu, narrateur goguenard, observe avec une ironie tendre cette parade où l’on se rengorge d’orgueil, l’œil humide d’émotion patriotique.
Là encore, le Canard gratte où ça démange : après quatre ans de misère au front, les combattants ne peuvent qu’éclater de rire en voyant les civils défiler avec des pardessus impeccables et des joues bien roses. Dahl renverse les rôles : les spectateurs, ce sont les soldats revenus d’Alsace, qui regardent ces « héros » d’arrière avec une incrédulité amusée. Et l’on imagine sans peine leur sourire amer : eux se sont « défilés » dans les tranchées, quand Paris se contente de défiler dans les rues.
Le texte n’est pas un simple sarcasme : il traduit aussi une gêne face à l’écart entre ceux qui ont subi la guerre et ceux qui la commémorent sans l’avoir vécue. La République, triomphante, se pare de cortèges ; mais derrière la farce, reste la fatigue immense des poilus. Dahl, en poilu lui-même, glisse ce constat sous forme de chanson satirique : les civils savent défiler, mais sauraient-ils seulement tenir une ligne dans la boue ?





