N° 129 du Canard Enchaîné – 18 Décembre 1918
N° 129 du Canard Enchaîné – 18 Décembre 1918
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La femme enchaînée : un dessin, un symbole
Dans son numéro du 11 décembre 1918, Le Canard enchaîné confie à Lucien Laforge la une avec un dessin titré « La femme enchaînée ». À peine un mois après l’armistice, l’artiste détourne le nom du journal pour souligner une autre réalité : celle d’une société où la paix retrouvée n’émancipe pas tout le monde. Tandis que les discours célèbrent la victoire, Laforge rappelle que la femme, cantonnée au foyer ou à l’usine durant la guerre, demeure prisonnière de ses chaînes sociales. L’humour devient allégorie, et l’illustration une critique sociale incisive.
Un mauvais exemple pour une paix fragile
Le 18 décembre 1918, à peine un mois après l’armistice, Le Canard enchaîné titre « Mauvais exemple ». L’article souligne le contraste entre les grandes proclamations de paix et les attitudes belliqueuses qui perdurent, y compris chez les Alliés. Alors qu’on promet un monde nouveau, le journal met en garde : si les vainqueurs reproduisent les travers des vaincus, la guerre n’aura servi à rien. L’ironie se glisse dans ce constat amer : au moment où l’Europe devrait donner l’exemple de la réconciliation, elle semble surtout montrer comment préparer le terrain aux conflits futurs.
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La République, sous les traits de Marianne, se trouve souvent représentée par les dessinateurs du Canard ; mais elle est toujours absente, exilée. Marianne accueille le président Wilson en 1918 entre deux rangées de policiers : « M. le président, veuillez m’excuser, je vous aurais reçu autrement que cela si j’étais aussi en République », lui fait dire le dessinateur Lucien Laforge dans ce numéro du 18 décembre. Martin, Laurent. « Le Canard enchaîné, un « objet politique mal identifié » », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. no50-2, no. 2, 2003, pp. 73-91.
Décembre 1918 : les promesses déjà trahies
Quand le Canard démonte les illusions de la paix
Dans son numéro du 18 décembre 1918, Le Canard enchaîné publie un article en une, sobrement intitulé « Mauvais exemple ». Nous sommes dans les premières semaines de l’après-guerre, un moment d’euphorie mais aussi d’incertitude. La victoire des Alliés ne laisse aucun doute, mais la manière dont ils entendent gérer cette victoire suscite déjà des critiques.
Le Canard, fidèle à son rôle de trouble-fête, choisit d’insister sur le décalage entre le discours officiel et les actes. On parle de paix universelle, d’un monde nouveau garanti par des institutions internationales ; mais sur le terrain, la logique de force continue de dominer. Les vainqueurs, loin de se montrer magnanimes, multiplient les signes de domination : occupations, exigences financières, volonté d’imposer une paix punitive.
Le « mauvais exemple » pointé par le journal, c’est celui d’un ordre international qui reproduit les logiques mêmes de l’impérialisme et du militarisme contre lesquels on prétend lutter. L’ironie naît de ce paradoxe : les grandes puissances parlent au nom de la justice, mais leurs gestes rappellent étrangement ceux qu’elles reprochent à l’ennemi vaincu.
Cet article illustre une des forces du Canard enchaîné : refuser la complaisance au moment où l’opinion, soulagée par la victoire, serait tentée d’adhérer sans réserve aux proclamations officielles. Au lieu de célébrer béatement, l’hebdomadaire préfère poser la question qui dérange : la paix qu’on prépare n’est-elle pas déjà compromise ?
Ce scepticisme, teinté d’humour, prend une valeur prophétique. On sait, avec le recul, combien le traité de Versailles et ses conséquences nourriront de nouvelles tensions, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Dès décembre 1918, Le Canard capte cette contradiction et choisit de la tourner en dérision.
Avec « Mauvais exemple », le journal affirme une ligne éditoriale qui marquera toute son histoire : ne pas céder aux enthousiasmes faciles, mais chercher dans chaque victoire la graine d’un futur désastre… et la pointer du doigt, sourire en coin, plume à la main.
Lucien Laforge et l’art de la métaphore
Une femme pour dire les limites de la paix
Le 11 décembre 1918, Le Canard enchaîné publie en une un dessin de Lucien Laforge intitulé « La femme enchaînée ». Ce titre joue sur la proximité avec celui du journal, et l’image se charge d’un double sens : au moment où la guerre vient de se clore, la satire rappelle que toutes les chaînes n’ont pas été brisées.
Pendant la guerre, les femmes ont occupé une place centrale dans la société française : ouvrières dans les usines d’armement, infirmières, soutiens de famille en l’absence des hommes mobilisés. Beaucoup espéraient que cette visibilité nouvelle ouvrirait la voie à des droits élargis. Or, à peine la paix revenue, le retour à l’ordre ancien menace de les renvoyer à l’ombre, en leur refusant le statut politique qu’elles réclament, notamment le droit de vote.
Laforge capte ce paradoxe dans une allégorie graphique : la femme, toujours entravée, incarne la société civile elle-même, privée d’une paix véritable. Le contraste entre le grand discours patriotique et la réalité sociale saute aux yeux : la victoire n’a pas libéré tout le monde.
Ce dessin illustre la capacité du Canard à aller au-delà de la satire militaire ou politique. Ici, la critique se fait sociale et presque prémonitoire. En 1918, la question féminine est encore marginalisée dans les débats publics ; mais l’hebdomadaire satirique choisit de lui donner un visage et un titre.
La force du gag repose aussi sur le jeu de mots : Le Canard enchaîné devient La femme enchaînée. Ce n’est plus seulement le journal qui se présente comme entravé par la censure et la société ; c’est la femme qui devient symbole universel des chaînes invisibles qui subsistent malgré l’armistice.
Ce numéro montre combien le Canard savait utiliser ses dessinateurs pour dire, par l’image, ce que les mots auraient eu du mal à exprimer frontalement. Avec Laforge, l’allégorie devient satire, et l’humour graphique un instrument de conscience sociale.