N° 139 du Canard Enchaîné – 26 Février 1919
N° 139 du Canard Enchaîné – 26 Février 1919
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IMPRÉVOYANCE
En février 1919, l’armistice est déjà loin pour les poilus… mais la paix, elle, se fait attendre. Dans un article grinçant, Victor Snell s’inquiète d’une démobilisation menée tambour battant : et si, à force de renvoyer les soldats chez eux, la France se trouvait démunie avant même que les signatures ne scellent la paix ? Derrière l’ironie perce une vraie crainte : gouverner sans prévoir, c’est déjà se condamner.
CET AGE EST SANS PITIÉ, dessin de Lucien Laforge
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Avec « Imprévoyance », publié le 26 février 1919, Victor Snell illustre à merveille l’art du Canard enchaîné : mélanger le sérieux et la satire pour pointer les contradictions d’un gouvernement pressé de tourner la page de la guerre.
Nous sommes à peine trois mois après l’armistice du 11 novembre, et déjà les rues de Paris voient revenir des cohortes d’anciens soldats démobilisés. « C’est moi, me voilà revenu ! », rapporte Snell avec un sourire en coin. Mais ce retour en masse, qui devrait réjouir la nation, lui inspire au contraire une inquiétude : ne va-t-on pas trop vite ?
Le raisonnement est implacable : tant que la paix n’est pas signée, tant que l’Allemagne n’a pas officiellement rendu les armes, la guerre n’est pas juridiquement finie. Or, si les troupes françaises sont déjà rentrées dans leurs foyers, qui restera-t-il pour occuper la Rhénanie, surveiller les frontières, ou parader lors du défilé triomphal promis pour marquer la victoire ? Les jeunes classes, répond-on. Mais alors, ironise Snell, il faudra bien « remobiliser » — rappeler les libérés, repasser les inaptes en revue, revisiter les auxiliaires… bref, recommencer la machine infernale de 1914, juste pour le plaisir d’un défilé bien fourni.
Sous l’humour perce un constat glaçant : le gouvernement, grisé par l’urgence de rendre les hommes à leurs familles et de calmer l’opinion, prend le risque d’une imprudence stratégique. La maxime de Sully, « gouverner, c’est prévoir », est retournée comme une gifle : « ne pas prévoir, ce n’est pas gouverner ». Or, accuse Snell, en février 1919, la République s’apprête à démontrer qu’elle ne sait plus gouverner.
Ce qui fait la force de cet article, c’est l’équilibre entre la légèreté du ton et la gravité de l’avertissement. Snell ne tonne pas, il ironise ; il ne hurle pas au scandale, il observe les contradictions et les pousse jusqu’à l’absurde. Mais derrière le sourire perce un vrai froid : celui de « l’incertitude », ce frisson dans le dos que partagent tous les lecteurs d’après-guerre. La paix est proche, certes, mais l’impréparation peut encore transformer la victoire en fiasco.
En une page, Le Canard enchaîné rappelle que la fin d’une guerre n’est jamais une simple formalité. Elle exige de la clairvoyance, qualité qui, selon Snell, manquait cruellement à ceux qui prétendaient gouverner en 1919.





