N° 151 du Canard Enchaîné – 21 Mai 1919
N° 151 du Canard Enchaîné – 21 Mai 1919
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On remet ça !
Dans son article « On remet ça ! », Roland Dorgelès imagine, avec un humour grinçant, une « nouvelle guerre » contre l’Allemagne qui reprendrait exactement comme en août 1914 : mêmes uniformes, mêmes erreurs, mêmes illusions. En pastichant les règlements militaires, les déclarations officielles et jusqu’au détail des biscuits de campagne, il révèle l’absurdité d’une société qui, quelques mois seulement après l’armistice, se montre prête à répéter la boucherie. Ce texte, publié le 21 mai 1919, est à la fois une farce et un avertissement : si l’on n’y prend garde, l’Histoire bégaiera.
ON N’EST JAMAIS TROP PRUDENT, dessin de Bour
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À la une du Canard enchaîné du 21 mai 1919, Roland Dorgelès livre avec « On remet ça ! » une charge féroce contre la tentation de replonger dans le cycle guerrier. La guerre est officiellement terminée, le Kaiser a été renversé, et l’Allemagne se prépare à signer la paix. Mais Dorgelès imagine une situation absurde : puisqu’il y a eu irrégularité dans la première partie, on décide de rejouer la guerre comme on rejoue un match mal arbitré.
Le texte pastiche avec brio le style des communiqués officiels. Tout est dit avec le sérieux des grandes annonces, mais l’énoncé lui-même vire au grotesque. Ainsi, la « nouvelle guerre » débuterait le même jour qu’en 1914, un samedi 2 août, et « chaque homme reprendra la place ou le grade qu’il occupait en 1914 ». Pétain redevient colonel, Humbert reprend son fauteuil, Raoul Villain (l’assassin de Jaurès) est remis en prison, Joseph Caillaux envoyé en mission. La mécanique est implacable : à force de vouloir tout rejouer à l’identique, on aboutit à une absurdité totale.
Dorgelès excelle dans le détail. Les soldats recevront « pantalon rouge et manchon bleu », six biscuits et un moulin à café par escouade. Les baïonnettes seront « affûtées et graissées pour bien glisser dans le fourreau ». Les trains pour Bordeaux seront doublés, le prix des œufs fixé, le prêt des militaires réduit d’un sou par jour. Autant de précisions qui accentuent l’effet comique, mais derrière lesquelles perce une critique sévère : la guerre, loin d’être une tragédie unique, risque de devenir une simple routine administrative, gérée comme une partie qu’on rejoue à l’identique.
Le choix des arbitres, « le général Cadorna, le maréchal French et le colonel House », ajoute à l’absurde. Dorgelès les présente comme les juges d’un tournoi, prêts à sanctionner les « incorrections » des belligérants. Comme dans un sport, une faute ferait « annuler la partie ». Mais ici, ce sport n’est autre qu’une hécatombe de millions de morts. L’humour noir est évident.
Ce texte, publié à peine six mois après l’armistice, frappe par sa clairvoyance. Dorgelès, qui avait connu la guerre de près et en avait tiré Les Croix de bois, sait trop bien ce qu’elle signifie. En feignant de prendre au sérieux l’idée absurde d’un « remake », il met en garde : si l’on continue à raisonner en termes de revanche, de règlement de comptes et de protocole militaire, la paix restera fragile.
Pour le lecteur de 1919, l’effet devait être double : rire du comique de situation et frissonner devant la perspective qu’une telle répétition puisse devenir réalité. En cela, l’article s’inscrit dans la mission du Canard enchaîné : exorciser par le rire les angoisses du temps présent, tout en alertant sur les dangers d’un retour à la guerre.





