N° 1533 du Canard Enchaîné – 8 Mars 1950
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L’OFFENSIVE COCA-COLA
On attend de gosier ferme le maire d’Atlanta… un peu inquiets tout de même…
Le maire d’Atlanta, qui a des épaules comme ça et des muscles comme ça et aussi des poings comme ça, vient d’arriver en Europe pour défendre le coca-cola. Il sera à Paris dans quelques jours. À vrai dire, ça nous inquiète un peu.
Parce que, au Canard, où l’on ne boit jamais de coca-cola à part le grand-père Zig qui est un colosse personne n’a des épaules, des muscles, des poings comme ça. Deux d’entre nous n’ont même pas d’épaules du tout. Alors, hein ! Si le maire d’Atlanta veut nous attaquer, on aura bien du mal à le sortir de la salle de rédaction.
Voyez-vous qu’il nous oblige à ingurgiter, de force, du coca-cola ! Ce serait épouvantable, et puis on serait déshonoré à jamais. Nous vivons dans les transes. Barricadés à double-tour nous n’ouvrons la porte qu’à ceux qui nous donnent le mot de passe. Le voici, pour le cas où vous auriez besoin de nous rendre visite :
Julienas et beaujolais, buvons-en un, buvons-en deux, youp-youp ! Et pour plus de sûreté, sonnez douze fois de suite. Seulement, hein ! on compte sur vous. N’allez pas crier ce mot de passe sur les zincs, surtout sur ceux où l’on sert du coca-cola.
Remarquez que, malgré toutes ces précautions, on n’est pas tranquille. À peine si nous osons, de temps à autre, traverser en courant la rue des Petits-Pères pour aller nous en jeter un ou deux, furtivement, derrière la cravate… On a bien pensé mettre un écriteau sur la porte : “Partis sans laisser d’adresse”, mais ça ne prendrait sûrement pas. D’autant moins que ce satané maire d’Atlanta ne comprend pas le français.
Vous ne connaîtriez pas un type costaud, genre armoire normande, bien musclé, qui consentirait à nous servir de garde du gosier ? Nous l’engagerions volontiers pendant la durée du séjour à Paris du maire de Coca-cola-City. Et nous ne lésinerions pas sur les appointements.
Il paraît que le projet de bannissement du breuvage en question a profondément mortifié les Amerlocs. Pourvu qu’ils ne nous déclarent pas la guerre à cause de ça ! Vous vous rendez compte de ce que serait une occupation américaine en France. On se retrouverait nous, nos autres, dans un camp de consommation. À purger des peines allant, selon les cas, de quinze litres à trois cents litres de coca-cola. Et, les récidivistes seraient condamnés au coca-cola à perpétuité. Brr…
DERNIÈRE MINUTE
On nous signale, par téléphone, la présence du maire d’Atlanta au « Vieux-Saumur ». Le danger se précise. Nous entassons les meubles derrière la porte.
DERNIÈRE SECONDE
Nouveau coup de téléphone. Le maire d’Atlanta est toujours au Vieux-Saumur. Mais sous la table. Il avait rencontré Henri Monier qui a prétendu qu’un buveur de coca-cola était incapable d’avaler une goutte de vin. Piqué au vif, le bonhomme a sifflé coup sur coup six bouteilles de julienas. Et il gueule comme un putois :
– À bas le coca-cola !
Ouf ! on est libéré. Inutile de nous envoyer un garde-du-gosier.
Cet article de Roger Salardenne, publié dans Le Canard enchaîné, est une satire de l’introduction en France du Coca-Cola dans le cadre du plan Marshall et de l’offensive commerciale américaine. La boisson gazeuse devient rapidement un symbole de la pénétration culturelle américaine en Europe. Ce texte utilise l’humour absurde et exagéré pour parodier l’inquiétude suscitée par cette “invasion” du Coca-Cola, symbolisée ici par la venue fictive d’un maire d’Atlanta, supposé ambassadeur de la marque.
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