N° 158 du Canard Enchaîné – 9 Juillet 1919
N° 158 du Canard Enchaîné – 9 Juillet 1919
89,00 €
En stock
Porte et Fenêtres
Dans son billet « Porte et Fenêtres » publié le 9 juillet 1919, Rodolphe Bringer mêle habilement actualité diplomatique et humour parisien. Prétexte : le départ de la délégation ottomane de la Conférence de paix. En réalité, l’auteur se moque de l’indifférence des Parisiens pour les affaires du monde, tout entiers tournés vers une obsession unique : trouver une fenêtre ou un balcon pour admirer le futur défilé de la Victoire du 14 juillet. Satire légère, mais révélatrice d’un climat où la spéculation immobilière sur les façades des Champs-Élysées comptait davantage que la diplomatie internationale.
Le général Cincinnatus, dessin de Lucien Laforge – Interview rapide, dessin de Depaquit
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
Dans son article « Porte et Fenêtres », paru le 9 juillet 1919 à la une du Canard enchaîné, Rodolphe Bringer illustre parfaitement l’art du journal satirique : partir d’un fait international pour mieux railler les travers nationaux. L’information initiale est sérieuse : la délégation ottomane, conviée à Versailles, a quitté la Conférence pour regagner Constantinople. Mais Bringer se garde bien de s’attarder sur les enjeux du Proche-Orient ou sur l’avenir de l’Empire ottoman. Ce qui l’intéresse, c’est le contraste entre ce départ diplomatique et l’indifférence polie qu’il a suscitée à Paris.
Le trait est mordant : les Turcs sont partis d’eux-mêmes, explique-t-il, en constatant qu’on ne leur prêtait aucune attention. Toute la capitale ne parlait que du futur défilé de la Victoire, prévu pour le 14 juillet, et d’une seule question : pourra-t-on voir quelque chose depuis son balcon ? À travers l’anecdote d’un « vieux diplomate » qui lui souffle que la place des Turcs n’était plus ici, Bringer dresse le constat : l’engouement ne va pas vers la politique, mais vers les fenêtres donnant sur les Champs-Élysées.
Le journaliste s’en donne à cœur joie. Il décrit ces Parisiens prêts à dépenser des fortunes pour louer un balcon, se battre pour une lucarne, une tabatière, un simple œil-de-bœuf. Tout devient objet de convoitise dans l’optique d’apercevoir le cortège : la fenêtre se transforme en véritable idole des habitants de la capitale. Même les députés s’en mêlent : Ajam et Eynac proposent un projet de loi pour taxer de 80 % les loyers des logements donnant sur les grands boulevards le jour de la cérémonie. L’ironie est totale : alors que le monde se redessine à Versailles, les débats français se concentrent sur la spéculation autour des ouvertures donnant sur l’avenue de la Grande-Armée.
Ce décalage, Bringer l’exploite jusqu’à sa chute : « Et c’est ce qui fait que la Porte a fichu le camp ! » Jeu de mots sur la Sublime Porte ottomane et sur la passion parisienne pour les fenêtres, la conclusion résume la logique du billet : les Turcs sont partis non pas par désaccord politique, mais parce qu’à Paris la seule préoccupation était de savoir combien coûtait une lucarne pour voir défiler Poincaré et Clemenceau.
À travers cette satire, Le Canard révèle moins l’importance des négociations internationales que l’égoïsme et l’avidité d’une société d’après-guerre. Pour les Parisiens, le 14 juillet 1919 ne devait pas être une étape de diplomatie mondiale, mais une fête du regard, pour laquelle on était prêt à « jeter l’argent par les fenêtres ».

 
      



