N° 162 du Canard Enchaîné – 6 Août 1919
N° 162 du Canard Enchaîné – 6 Août 1919
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Bravo, Noulens !
Le 6 août 1919, Maurice Maréchal, fondateur du Canard enchaîné, signe un billet ironique consacré à Étienne Clémentel Noulens, ministre du Ravitaillement. Sous le titre tonitruant « Bravo, Noulens ! », il salue faussement le ministre pour avoir rétabli la criée aux Halles. Une mesure en apparence anodine, mais que Maréchal dépeint comme une « soupape » destinée à calmer la colère populaire. À travers cette satire, il met en lumière le fossé entre un peuple affamé et un pouvoir obsédé par le maintien de l’ordre.
Approvisionnements, dessin de Calvo – Interview, dessin de Bécan –
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L’article « Bravo, Noulens ! » illustre à merveille la plume corrosive de Maurice Maréchal, qui savait conjuguer humour, ironie et critique sociale. Le sujet de départ paraît presque technique : la décision du ministre du Ravitaillement, M. Noulens, de rétablir la criée aux Halles de Paris, c’est-à-dire la possibilité pour les consommateurs d’assister aux enchères publiques et de voir les transactions se faire à ciel ouvert. Une mesure administrative, en apparence modeste, mais qui suscite ici un commentaire jubilatoire et acide.
Maréchal feint d’abord l’éloge. Ceux qui doutaient des capacités du ministre sont renvoyés dans leurs buts : « M. Noulens s’est révélé comme un as, un véritable as du carreau de carreau des Halles ». Ce ton grandiloquent prépare le renversement ironique. Car ce que l’auteur admire vraiment, ce n’est pas tant l’efficacité économique que la ruse politique. La criée, explique-t-il, n’est rien d’autre qu’une soupape psychologique : elle permet au peuple, frustré par la vie chère, d’aller chaque matin « hurler à son aise » contre les marchands, de donner libre cours à sa colère, et, ce faisant, de se défouler sans renverser le pouvoir.
Le parallèle avec les craintes révolutionnaires est clair. En 1919, la France sort à peine de la guerre, l’inflation galope, la faim guette les plus modestes. Les autorités redoutent les mouvements sociaux, les pillages, voire une contagion bolchevique. Or, pour Maréchal, Noulens a trouvé le remède miracle : offrir un exutoire légal et bruyant. « Le peuple alors, écrit-il, est heureux, satisfait, épanoui… et le gosier enroué », trop occupé à crier pour songer à descendre dans la rue.
Le sarcasme est évident : le consommateur, calmé par ses hurlements, finit par accepter de payer « le triple de sa valeur » sans rouspéter. La dénonciation est double : d’un côté, elle vise les autorités qui se contentent de calmer les esprits sans s’attaquer aux causes réelles de la vie chère ; de l’autre, elle fustige la résignation populaire, qui se laisse berner par ces soupapes.
Ce texte est typique de la ligne du Canard dans l’immédiat après-guerre : mêler les petites décisions ministérielles à une satire plus large du système. Maréchal se moque des grands mots de la République, de ses ministres trop heureux de trouver des « trucs » pour éviter les révolutions, et d’un peuple réduit à hurler sur les marchés plutôt qu’à contester en profondeur.
En somme, « Bravo, Noulens ! » n’est pas seulement une chronique sur le ravitaillement parisien. C’est une parabole sur le pouvoir : celui-ci ne nourrit pas les ventres, mais offre aux gorges l’occasion de s’époumoner. Et tant que le peuple crie, il ne renverse pas. Satire toujours actuelle d’un art politique consistant à détourner la colère, plutôt qu’à résoudre les injustices.





