N° 1664 du Canard Enchaîné – 10 Septembre 1952
N° 1664 du Canard Enchaîné – 10 Septembre 1952
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« Une voix pour l’assassin »
est un article à la fois polémique et introspectif dans lequel Morvan Lebesque adopte un ton provocateur et accusateur pour dénoncer ce qu’il perçoit comme des travers sociaux et moraux ayant conduit au drame qu’il relate : le viol et le meurtre d’Annie Montaigu, une jeune fille de douze ans, par Eugène Nigro. En s’opposant frontalement à la vindicte populaire et aux appels à la peine de mort pour Nigro, Lebesque s’attaque, non pas seulement à l’homme, mais aux structures sociales et à la responsabilité collective qu’il estime à l’origine du crime.
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L’auteur, comme il l’écrit dès l’introduction, se déclare prêt à "protéger du lynchage" l’accusé et à "élever [sa] voix, une seule voix" en sa faveur. Ce positionnement va à contre-courant de l’émotion générale, une prise de position qui, comme il le pressent lui-même, lui vaudra insultes et incompréhensions. Toutefois, il ne s’agit pas pour lui d’excuser Nigro, mais de contextualiser son acte dans une société qu’il décrit comme hypocrite, répressive et aveuglée par ses propres contradictions morales.
Lebesque ne ménage pas ses mots pour dénoncer ce qu’il considère être les véritables coupables : la société patriarcale et les dogmes moraux qu’elle impose. Il pointe du doigt "le Syndicat tout-puissant des Hypos" – une formule cinglante pour désigner les hypocrites – qu’il accuse d’avoir façonné des générations d’hommes incapables de vivre sainement leur sexualité. En dressant un portrait clinique de Nigro, l’auteur en fait moins une figure monstrueuse qu’un produit pathologique de cette société. L’homme, explique-t-il, est victime d’une répression sexuelle qui a transformé ses désirs en pulsions incontrôlées. Ce portrait va jusqu’à inclure une critique acérée de la vision moralisatrice du corps féminin : Nigro, incapable d’aborder les femmes, est décrit comme l’incarnation tragique d’un mal plus vaste.
Au-delà de Nigro, l’article s’en prend au système judiciaire et à la peine de mort, que Lebesque rejette catégoriquement. Il en appelle à la raison et à la responsabilité collective, soulignant que la vengeance par l’exécution publique n’apportera aucun réconfort à la mémoire de la jeune Annie. Le texte culmine sur une note personnelle, déchirante : Lebesque révèle avoir lui-même une fille nommée Annie, donnant à son propos une dimension poignante et personnelle.
Lebesque s’autorise par ailleurs des digressions aux accents raciaux, évoquant brièvement "les Nord-Africains" comme une population sur laquelle aurait pu se cristalliser le soupçon. Ce passage, en partie reflet des mentalités de l’époque, mérite d’être lu avec prudence et replacé dans le contexte colonialiste et les tensions sociales qui marquaient la France des années 1950.
L’ensemble de l’article est un cri de révolte contre les solutions simplistes, les jugements à l’emporte-pièce et l’aveuglement collectif. Lebesque invite ses lecteurs à dépasser leurs instincts de vengeance pour envisager des solutions plus humaines et réfléchies face à la criminalité. Si son ton peut paraître brutal, voire dérangeant, il est aussi une invitation à réfléchir aux causes profondes des tragédies humaines, au-delà des apparences et des émotions immédiates.
Cet article reste, aujourd’hui encore, une démonstration du style incisif et engagé de Lebesque, bien qu’il puisse être source de débats et de critiques, notamment en raison de certaines formulations et généralisations propres à l’époque.
Les nouveaux passages cloutés, dessin de Péa.