N° 1700 du Canard Enchaîné – 20 Mai 1953
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François-Jean Armorin : « Son dernier reportage » ou la Vérité qui tue
Dans le Canard du 20 mai 1953, Tréno raconte la mort de François-Jean Armorin, jeune reporter fauché à 27 ans. Officiellement un accident ; officieusement, un avertissement. Son dernier reportage, publié après sa disparition, exposait trop clairement les trafics, les “seigneurs” et les fortunes occultes de Saigon en pleine guerre d’Indochine. Tréno démonte le système : la presse est muselée, les barons protégés, les soldats sacrifiés. Armorin, lui, avait refusé de se taire. Ce portrait sans fard révèle ce qu’était alors le journalisme colonial : un métier où la vérité pouvait, littéralement, tuer.
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“Son dernier reportage ou la Vérité qui tue” : Tréno démonte le silence armé de l’Indochine
Un jeune journaliste mort trop tôt, et trop lucide
Dans le Canard enchaîné du 20 mai 1953, Tréno raconte l’affaire François-Jean Armorin, 27 ans, un reporter prometteur dont la mort reste officiellement un accident — mais dont le texte posthume, Son dernier reportage, dit tout autre chose. Publié après son décès, le récit fait tache : il pointe du doigt ce qu’on n’a pas le droit de nommer dans la presse française de 1953, à savoir la corruption, les trafics et la loi des “seigneurs” de Saigon pendant la guerre d’Indochine.
Tréno ne cache rien : Armorin écrivait depuis un monde où la vérité coûte cher, parfois la vie. Le journalisme colonial est alors une profession dangereuse, non parce qu’elle expose à la balle viêt-minh, mais parce qu’elle s’approche trop près des réseaux d’intérêts que l’armée, les services, les affaires locales et certains notables ont bâti sur la guerre.
1953 : l’Indochine en délitement, et une presse sous chape de plomb
L’année 1953 marque l’avant-dernier acte de la guerre d’Indochine : c’est le temps des opérations gigantesques, des pertes continues, et des illusions qui s’effondrent. À Paris, on continue de parler de “mission civilisatrice”. À Saigon, tout le monde sait que c’est une guerre de réseaux, de fortunes rapides, de trafics d’opium, de bars d’officiers et de “protections” achetées.
La censure militaire et policière musèle la presse ; seuls quelques correspondants — Pierre Schoendoerffer plus tard, Lucien Bodard déjà — voient ce qui se trame. Armorin, lui, n’aura pas le temps de devenir un grand nom : son texte posthume révèle trop de choses.
Tréno, en relayant l’affaire, brise à son tour ce silence imposé.
Le reportage maudit : “C’est toi le journaliste qui raconte que X… est le chef du gang des Corses, ici ?”
L’article montre un Armorin qui, dans un bar de Saigon, voit un “gentleman” se lever pour lui demander avec calme s’il est bien “le journaliste qui raconte que X… est le chef du gang des Corses”. La phrase vaut aveu : ce que le reporter avait dévoilé n’était pas du folklore. Les “barons” locaux existent, ils sont connus, nommés dans les conversations, et l’administration ferme les yeux — ou partage les profits.
Tréno mentionne “la puissance en question”, notant qu’elle “avait amassé dans un livre aux bavures une, deux, beaucoup de millions”. Le mot “bavures”, volontairement équivoque, renvoie à la fois aux profits mal acquittés et aux coups tordus, parfois sanglants, qui les accompagnent.
Un dîner, un “seigneur”, un avertissement : tout y est
L’épisode central du texte — et le plus fort — décrit Armorin invité à dîner par ce “seigneur”. On lui parle sèchement, comme à un subalterne gênant :
« Quatre gentlemen corrects, de tenue de blanc, tenaient non loin de moi. Partout c’était l’animation habituelle, le petit monde de Saigon sous le tourniquet des grandes pales de ventilateurs. »
Ce tableau colonial est atroce de précision : luxe superficiel, gestes feutrés, menace en sous-main. On y mange, on boit, on rit — pendant qu’on avertit le journaliste qu’on peut “le mettre sur la sellette”. L’avertissement se fait poli, presque élégant, mais le sous-texte est net : “On vous laisse la vie, mais c’est à condition que vous vous taisiez.”
Armorin refuse. Il écrit. Il part. Il meurt “par accident”.
Tréno ne l’écrit jamais explicitement, mais le lecteur comprend : en Indochine, on ne meurt pas toujours du Viêt-minh.
La vérité contre les intérêts : la presse a ses martyrs
Le grand mérite de Tréno est de prendre parti pour le métier :
« Aucun intérêt ne me pousse. Je raconterai, c’est mon métier et je n’en veux pas d’autre. »
Ces mots d’Armorin, reproduits en ouverture, valent profession de foi — et testament.
Le texte ne se contente pas de dénoncer les barons saïgonnais ; il fustige aussi la France officielle, qui ne protège pas ses journalistes. Au contraire : “Les francs coquins continuent de protéger le Seigneur de Saigon.” Le mot “coquins” n’a rien de léger : c’est une accusation directe contre un système politique qui laisse prospérer les mafias locales tant qu’elles servent ses intérêts.
Armorin, symbole des jeunes journalistes sacrifiés
L’article se clôt sur l’absurdité coloniale la plus brutale : les soldats crèvent, les aventuriers s’enrichissent. L’équilibre est le même partout dans l’Empire finissant : le sang des uns graissent les profits des autres.
Tréno ne cherche pas à dramatiser : il constate. Mais tout son texte dit l’essentiel : en 1953, à Saigon, dire la vérité est un acte létal.
Armorin devient malgré lui un symbole : celui d’une génération de jeunes reporters entrée trop tôt dans la cage aux fauves.
🔎 Précision historique
Le « Francoquin » dont parle Tréno n’est pas un hasard de plume :
c’est un déguisement à peine voilé de Mathieu Franchini, le tout-puissant patron de l’Hôtel Continental de Saïgon, une figure centrale de l’Indochine coloniale de l’après-guerre.
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Franchini, Corse d’origine, contrôle l’hôtel le plus stratégique de Saïgon, véritable plaque tournante des officiers, banquiers, trafiquants, agents secrets, autorités civiles et journalistes.
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Il est l’un des acteurs majeurs des réseaux politico-mafieux corses de la ville (opium, bars, casinos),
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Il protège ou finance de multiples intérêts locaux en échange du silence des autorités françaises.
Dans les années 1940–1950, l’Hôtel Continental est surnommé à Saïgon « le bureau des renseignements officieux », parce qu’on y apprend plus en une soirée qu’en une semaine dans les dépêches du haut-commissariat. C’est aussi un lieu où l’on peut « faire passer un message » — y compris menaçant — à un journaliste trop curieux.
🖋️ Pourquoi Tréno masque le nom ?
Parce que Le Canard s’expose, dans ce texte du 20 mai 1953,
à accuser implicitement l’homme le plus protégé de Saïgon.
Nommer Franchini aurait ouvert la voie :
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à une plainte en diffamation,
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à la saisie du journal,
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et surtout à exposer davantage les sources d’Armorin.
Le pseudonyme « Francoquin », mi-calembour, mi-paravent, permet à Tréno de viser exactement la cible, sans l’écrire.
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