N° 1703 du Canard Enchaîné – 10 Juin 1953
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Lettre à quelqu’un pour lui rappeler une dette
Dans Le Canard enchaîné du 10 juin 1953, Jérôme Gauthier signe un texte exceptionnel : une lettre ouverte à Eisenhower pour tenter de sauver Julius et Ethel Rosenberg, condamnés à mort en plein maccarthysme. Pas de satire ici, mais un réquisitoire napalmé contre la justice spectacle, la peur politique et la vengeance d’État. Gauthier évoque Sacco et Vanzetti, Chiappe, les bavures policières, et rappelle que la “conscience humaine” ne pardonne pas l’exécution des innocents présumés. Huit jours avant la mise à mort, le Canard jette tout son poids moral dans la balance — en vain.
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La « dette » selon Jérôme Gauthier : un réquisitoire contre Eisenhower et contre la barbarie judiciaire
Un texte écrit dans l’urgence d’un compte-à-rebours
Le Canard enchaîné du 10 juin 1953 publie en page 2 une longue lettre ouverte de Jérôme Gauthier adressée à Dwight Eisenhower. À cette date, le destin des époux Rosenberg, condamnés à mort aux États-Unis pour espionnage nucléaire au profit de l’URSS, ne tient plus qu’à une grâce présidentielle. L’exécution est prévue pour le 18 juin à 23 h. Le ton du texte reflète cette tension : il ne s’agit pas d’un article, mais d’un cri. Le Canard, qui d’ordinaire raille, ironise, distille, choisit ici une plume indignée, sombre, presque prophétique.
1953 : l’Amérique chasse ses fantômes et fabrique ses martyrs
Nous sommes en plein maccarthysme. Le pays entier est obsédé par la traque aux “rouges”, les procès d’espionnage, l’hystérie sécuritaire. Les Rosenberg deviennent l’exemple parfait : un couple modeste, militant communiste, accusé d’avoir livré l’arme atomique à Moscou. Les preuves ? Fragiles. Les témoignages décisifs ? Extorqués ou contradictoires. Le contexte politique, lui, pèse des tonnes.
Dans la presse américaine, la clameur anti-communiste est si forte que la nuance n’a plus sa place. Dans l’Europe de 1953, au contraire — et en France en particulier — l’affaire choque profondément. On y voit un mélange de vengeance politique, de panique idéologique et de justice spectacle. Gauthier se fait la voix de cette indignation.
Un rappel : « la conscience humaine » a une mémoire
Le texte commence par une phrase frappante :
« Président Eisenhower, le Canard n’a pas de conseil à vous donner. »
C’est une fausse modestie, un prélude. Le conseil va venir, répété, martelé. Le but de Gauthier n’est pas de convaincre Eisenhower — c’est trop tard — mais de poser un acte éthique : faire savoir que la France, que l’Europe, que les hommes “pas plus communistes que vous” sont bouleversés par l’acharnement américain.
Gauthier dénonce la déshumanisation systématique opérée par la justice militaire et civile américaine :
« Ces gens-là se foutent absolument de savoir si Julius et sa femme ont communiqué aux Russes les petits secrets de vos physiciens en délire. »
Le mot-clé est “absolument”. L’émotion est ailleurs : dans l’injustice perçue, dans la machine à condamner qui avance même lorsque les preuves s’effondrent.
Une comparaison cinglante : Chiappe, Sacco, Vanzetti et la longue histoire de la vengeance d’État
L’un des passages les plus percutants rappelle les exécutions des anarchistes Sacco et Vanzetti (1927), autre affaire où l’Amérique a fait primer la peur politique sur le droit. Gauthier raconte aussi, crûment, comment la police de Jean Chiappe avait torturé des innocents en 1913 dans “l’affaire du métro de la Bastille”.
Ces épisodes servent de miroir : l’Amérique répète les erreurs que la France avait commises dans ses heures les plus sombres — et que la conscience européenne n’a jamais totalement digérées.
« La justice est une cuisine qui donne froid dans le dos quand elle massacre quelqu’un à mort. »
Gauthier rappelle ainsi qu’il existe une mémoire morale, et qu’Eisenhower pourrait choisir de s’y inscrire, “par la grâce”. Ce conditionnel suspendu pèse sur toute la lettre.
La dénonciation de la logique sacrificielle
Loin de défendre les Rosenberg pour leurs opinions, Gauthier attaque l’idée même d’un procès exemplaire. Il insiste :
« Nous ne sommes pas de ceux qui fourrent dans le même sac tous les physiciens d’abattoir. »
La guerre froide a instauré une logique du sacrifice : certains doivent mourir pour restaurer l’ordre, pour purger la société, pour “donner l’exemple”. Pour Gauthier, les Rosenberg sont précisément cela : des victimes expiatoires offertes à la peur collective.
Dans un autre passage, il écrit :
« Vous nous laisserez pourrir… »
La phrase, brève et dure, désigne non seulement les condamnés, mais aussi tous ceux qui, en Europe, regardent les États-Unis s’enfoncer dans la vengeance morale.
Une lettre comme accusation posthume
La fin du texte est glaçante. Après avoir rappelé qu’Eisenhower avait rejeté un premier recours en grâce, Gauthier écrit :
« Je ne sais pas ce que vous allez faire. Mais je sais ce que l’histoire dira. »
Puis la phrase qui tue :
« On dirait que les Rosenberg sont trop célèbres pour être sauvés. »
C’est là le cœur du scandale : la notoriété, alimentée par la presse, est devenue un argument contre la vie. La machine judiciaire américaine ne peut plus se dédire. Elle doit aller au bout de son geste.
Gauthier termine sur une image criminelle : Al Capone. Ce parallèle — volontairement outrancier — vise à montrer que les États-Unis protègent parfois leurs vrais criminels, mais s’acharnent sur les symboles idéologiques.
Un acte moral du Canard
Le texte se lit aujourd’hui comme un document. Plus qu’une satire, c’est un engagement. Le Canard dénonce l’injustice américaine au moment exact où celle-ci s’apprête à être irréversible. Ce n’est pas une prophétie : les Rosenberg seront exécutés huit jours plus tard.
Gauthier signe ici l’un des éditoriaux les plus graves du journal, rappelant qu’un satiriste peut — et doit — parfois déposer les armes de l’ironie pour parler au nom de la conscience.
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