N° 1705 du Canard Enchaîné – 24 Juin 1953
N° 1705 du Canard Enchaîné – 24 Juin 1953
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Un pavé dans la mare
Le Canard enchaîné du 24 juin 1953 publie deux coups de massue : Jérôme Gauthier dénonce l’horreur du droit de grâce américain après l’exécution des Rosenberg, tandis que Tréno rapporte la protestation contre le meurtre d’un ouvrier berlinois abattu par une patrouille soviétique. Deux mondes, deux idéologies, une même logique : l’État qui tue, la foule qui acclame ou se tait. En une page, le Canard montre que la barbarie n’a pas de drapeau, que Sacco et Vanzetti répondent à Willy Goettling, et que 1953 est une année où les consciences s’effritent sous le choc des deux justices.
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1953 : dans un même numéro, Gauthier et Tréno étrillent l’Amérique et l’U.R.S.S. — et rappellent que la barbarie n’a pas de drapeau
Un 24 juin 1953 qui résonne comme un glas
L’édition du Canard enchaîné du 24 juin 1953 paraît cinq jours après l’exécution de Julius et Ethel Rosenberg dans la prison de Sing-Sing. La France est saisie d’horreur. Sur les murs de Paris, des affiches “Ils ne doivent pas mourir” sont encore fraîches. Des manifestations ont éclaté à Lyon, à Marseille, à Berlin-Ouest, à Rome. Le monde non-communiste lui-même hésite entre effroi, honte et colère.
Dans cette atmosphère, Jérôme Gauthier signe un texte d’une virulence exceptionnelle : « Où le droit de grâce en prend pour son grade ». Il ne s’agit ni d’un article ni d’un pamphlet : c’est un acte d’accusation. Gauthier ne s’attaque ni aux juges ni aux procureurs américains : il désigne directement celui qui a “appuyé sur le bouton” — Eisenhower.
Le droit de grâce retourné : un privilège qui tue
Le texte débute par un détail volontairement dérisoire — le nom du bourreau de Sing-Sing — pour mieux renverser le propos :
« Ce n’est pas ce Purcell qui a pressé sur le bouton. C’est quelqu’un plus haut placé. Le Président. »
La thèse de Gauthier est simple et terrible : le droit de grâce est le droit de tuer. Il confère à un seul homme un pouvoir d’exécution réversible. C’est un “loi de Talion d’en haut”, un droit féodal, une survivance de monarchie en habit démocratique.
Le journaliste fustige la “conscience trop bavarde” du président, cette hésitation morale visible dans les jours précédant l’exécution, mais qui n’a finalement servi à rien.
« Une minute de vérité… et tout aurait été fini. »
La minute ne viendra pas.
Une charge contre l’hypocrisie des foules
Si Eisenhower porte la responsabilité ultime, Gauthier ne ménage pas les “foules”, ces “sept mille braves gens” massés devant Sing-Sing pour applaudir l’annonce de la mise à mort. La foule est ici un personnage sinistre, un héritage direct de Sacco et Vanzetti :
« La race des applaudisseurs de bourreaux est éternelle. »
Gauthier sait que la barbarie n’est pas seulement un geste d’État : elle est une jouissance partagée, un rituel social. Il prend soin d’ajouter, acide :
« Après l’électrocution de Julius et tandis qu’on allait chercher Ethel pour son tour, la foule n’a pas crié ‘Bis !’.
Rassurez-vous. C’est qu’elle n’y a pas pensé. »
Le texte est glaçant : le Canard, d’ordinaire ironique, abandonne le rire pour un couteau.
La barbarie n’a pas de camp : l’affaire Willy Goettling
Vient ensuite la “protestation” signalée par Tréno. Et elle n’adoucit rien : elle élargit le cadre.
Quelques jours plus tôt, un peintre en bâtiment berlinois, Willy Goettling, père de deux enfants, a été abattu d’une balle dans le dos par une patrouille soviétique pour avoir voulu toucher son allocation à Berlin-Est. Exécution immédiate, sans procès, sans enquête.
Tréno reproduit la lettre ouverte envoyée par l’Association française des protestataires attirés (A.F.P.A.) au haut-commissaire soviétique. Les signataires — Sartre, Aragon, Prévert, Daquin, Picasso, Druon, Pozner, et d’autres — dénoncent un meurtre d’État aussi injustifiable que celui des Rosenberg.
On y lit la même colère, les mêmes mots :
« Ce sont des tigres assoiffés de sang », écrit Sartre.
« Il n’y a pas d’innocents », répondent les autorités soviétiques.
« La logique est implacable », ajoute Tréno.
Et c’est bien cela que montre cette juxtaposition : les États-Unis tuent au nom de la sécurité, l’U.R.S.S. tue au nom de l’ordre. Les victimes, elles, se ressemblent.
Une mise en page qui fait sens : les deux barbaries, côte à côte
Le génie de cette page du 24 juin 1953 est dans sa construction : un pavé signé Gauthier pour dénoncer l’exécution légale aux États-Unis ; une protestation rapportée par Tréno pour dénoncer le meurtre administratif en zone soviétique.
Deux articles, un seul message : aucun camp n’a le monopole de la justice ; tous ont celui de la violence d’État.
Gauthier s’attaque aux foules américaines qui acclament leurs bourreaux ; Tréno montre les bureaucrates soviétiques qui éliminent froidement les pauvres.
L’un pour la “grâce refusée”, l’autre pour la “balle dans le dos”.
Cette symétrie est voulue : *Le Canard* se refuse à défendre l’un en accusant l’autre. Il ne renvoie pas dos à dos pour neutraliser la critique, mais pour l’amplifier.
Le journal rappelle que toutes les idéologies sont capables d’atrocités, et que la seule position éthique est d’y résister — toujours.
1953, année terrible où l’ordre du monde vacille
Entre la mort de Staline (mars), les émeutes de Berlin-Est (juin), l’exécution des Rosenberg (juin) et la guerre de Corée qui agonise (jusqu’à juillet), 1953 est une année où les États s’affrontent aussi par leurs cruautés respectives.
Gauthier et Tréno sont ici les scribes d’un moment où la morale occidentale et la morale soviétique montrent ensemble leurs gouffres.
Cette page est l’une des plus sombres du Canard des années 1950 — et aussi l’une des plus nécessaires.
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