L’article de Morvan Lebesque, intitulé « Le Bluff des Pilotes », publié dans Le Canard enchaîné du 17 octobre 1956, est une critique satirique et acerbe des discours grandiloquents autour des pilotes du canal de Suez, devenus, par la magie de la presse et de la propagande, des héros irremplaçables de l’actualité.

Lebesque débute en dénonçant le « faux bruit » selon lequel les pilotes démissionnaires seraient absolument indispensables au fonctionnement du canal. Avec une plume caustique, il montre comment cette exagération a servi à valoriser artificiellement ces professionnels, pourtant décrits comme « bourgeois, instruits, et bien payés » – jusqu’à 400 000 francs par mois, ironise-t-il. Les pilotes, désormais au chômage, auraient même gagné, malgré eux, une forme de gloire imméritée.

L’auteur élargit rapidement son propos pour critiquer une tendance qu’il attribue au « petit hexagone national » : celle de glorifier des figures supposément irremplaçables. Il évoque avec sarcasme la manie française de conférer des honneurs à des personnages médiocres, comme un romancier capable d’écrire 150 pages ou un auditeur capable de réciter la date de la bataille de Malplaquet. Ces « irremplaçables », martèle-t-il, ne sont souvent que le produit d’un chauvinisme exagéré.

Dans une envolée plus philosophique, Lebesque remet en question le concept même d’irremplaçabilité, rappelant que des figures historiques autrefois marginalisées – comme Baudelaire ou Cézanne – ont finalement été réhabilitées. Cette réflexion sert à pointer l’injustice et la cécité de la société française, prompte à marginaliser ses vrais talents tout en glorifiant des héros de pacotille.

Pour conclure, Lebesque suggère, dans un éclat de dérision, la création d’un « Ministère de la Dignité française » chargé de protéger l’image de marque du pays et de « secouer le cocotier de la futilité ». Cette proposition satirique résume parfaitement l’esprit de l’article : une critique virulente des mythologies nationales et des artifices médiatiques.

Avec son style mordant et ses comparaisons piquantes, Lebesque livre ici une réflexion intemporelle sur le ridicule des illusions collectives. L’article, tout en dénonçant le traitement médiatique des pilotes de Suez, s’élève en réalité contre une certaine superficialité dans la culture française de l’époque.