N° 194 du Canard Enchaîné – 17 Mars 1920
N° 194 du Canard Enchaîné – 17 Mars 1920
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LE PAIN EST PLUS CHER … mais patience, il sera bientôt plus mauvais.
Le Sang et l’Argent,
Dans Le Sang et l’Argent, Roland Dorgelès dénonce avec une vigueur rare la froideur des campagnes de souscription à l’Emprunt national de 1920. Derrière les affiches et les slogans patriotiques, il rappelle que l’État a toujours su trouver du sang quand il manquait d’argent, mais qu’il peine désormais à obtenir l’inverse. En mêlant souvenirs de 1914 et amertume face à l’indifférence des possédants, l’article dévoile la fracture d’une France où les sacrifices des soldats se heurtent au refus des financiers de délier leurs bourses.
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Roland Dorgelès, écrivain marqué par son expérience de combattant et par son roman Les Croix de bois (paru en 1919), n’a jamais cessé de confronter la mémoire de la guerre aux réalités de l’après-guerre. Dans son article Le Sang et l’Argent, paru le 17 mars 1920 dans Le Canard déchaîné, il s’attaque à un sujet brûlant : la souscription à l’Emprunt national lancé par le gouvernement Millerand pour financer la reconstruction et rembourser les dettes de guerre.
Dorgelès commence par un parallèle saisissant : en 1871, après la défaite face à la Prusse, l’Emprunt avait rapporté 47 milliards ; en 1920, après la victoire, combien rapportera-t-il ? La question, volontairement provocatrice, révèle déjà le désenchantement : les campagnes publicitaires, les affiches illustrées par les signatures prestigieuses de Foch ou du duc d’Orléans, ne suscitent pas l’enthousiasme espéré. « Le sang se montre, il n’y a que l’argent qui se cache », écrit-il, rappelant que les mobilisés de 1914 s’étaient pressés en masse aux bureaux de recrutement, tandis que les riches, eux, rechignent à s’avancer aux guichets des banques.
L’article est un réquisitoire contre les profiteurs de guerre et les enrichis de l’arrière. Dorgelès aligne les exemples : les fournisseurs d’obus mal calibrés, les marchands d’avions bâclés, ceux qui livraient du beurre rance ou des conserves avariées. Tous ont su tirer profit du conflit, mais rechignent à donner leur argent à l’État. Il raille la politesse avec laquelle on sollicite aujourd’hui ces fortunes, alors que jadis, au front, on « prenait le sang sans demander la permission ».
La virulence du texte culmine dans le souvenir personnel : celui de Merfy, en Champagne, en septembre 1914, où Dorgelès affirme avoir vu fusiller un soldat hésitant à donner son sang entier. Cette anecdote terrible, placée à la fin de l’article, donne tout son poids à la comparaison : on fusillait pour du sang, mais on supplie pour de l’argent.
Replacé dans son contexte, ce texte illustre l’une des grandes tensions de l’immédiat après-guerre. Alors que la France doit financer la reconstruction des régions dévastées et honorer ses engagements financiers, l’État se heurte au manque de confiance et au refus d’une partie des élites économiques. Le contraste entre la générosité forcée des poilus et l’avarice des enrichis nourrit un ressentiment profond, que Dorgelès exprime avec une plume à la fois indignée et ironique.
Le Sang et l’Argent n’est donc pas seulement un article satirique : c’est aussi un témoignage amer sur l’après-guerre, où la mémoire du sacrifice nourrit la critique des inégalités. Dorgelès, en rappelant que « le sang se montre » quand l’argent se dérobe, formule une condamnation implacable des profiteurs de paix, incapables de rendre à la nation ce que d’autres ont payé de leur vie.





