N° 1946 du Canard Enchaîné – 5 Février 1958
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LE BON SENS ET LE SANG
Dans cette tribune d’une rare vigueur intellectuelle, Max-Pol Fouchet s’attaque à la peine de mort en dénonçant l’hypocrisie morale et les sophismes de ceux qui en font encore la promotion en 1958. Loin de toute tiédeur, il construit une attaque à la fois éthique, politique et logique contre cette survivance barbare, dans un texte qui résonne fortement avec les débats contemporains sur la justice et la violence d’État.
Fouchet prend pour cible le substitut Parisot et l’avocat général Guelpa-Quiener, dont les propos – relayés à propos de l’affaire Lechantre – illustrent ce qu’il nomme une « logique très aiguisée », mais perverse. D’un ton faussement raisonnable, ces magistrats réclament la tête d’un criminel sous couvert d’exemplarité, sans s’interroger sur le caractère arbitraire, ou à tout le moins inégalitaire, de l’application de la peine capitale. D’où le trait féroce du Canard : « Un crime semblable, le jeune Abel Bruneel était condamné aux travaux forcés à perpétuité », tandis que Jacques Fesch, lui, est exécuté. Deux hommes, deux crimes similaires, deux traitements. L’un est guillotiné, l’autre non. Où est la justice là-dedans ?
L’ironie toujours sobre, de Fouchet se dévoile dans la fausse solution qu’il propose, par dérision : pourquoi ne pas organiser « une large démonstration » publique de la guillotine avec vendeurs de cacahuètes et marchands de souvenirs, pour s’assurer que la peur du châtiment atteigne bien tous les « criminels en puissance » ? Le Canard évoque ici un retour au supplice-spectacle, révélant la logique de la terreur sur laquelle repose cette justice pénale.
Mais Fouchet ne se contente pas de moquer. Il déploie une réflexion profonde sur la finalité de la peine : celle-ci ne peut pas être le châtiment pur, ni la vengeance sociale. Elle doit être réparation, éducation, réintégration. Son humanisme s’exprime dans cette phrase qui demeure aujourd’hui encore d’une actualité brûlante : « Nous ne voulons pas que la peur soit salutaire. C’est encore affaire de logique. »
Enfin, l’auteur inscrit son propos dans une dimension politique : l’État qui tue prétend administrer la justice mais transmet en réalité une culture de mort. Et ceux qui s’en font les promoteurs se plaisent trop souvent à désigner de commodes boucs émissaires : les intellectuels, les abolitionnistes, les « bons sentiments », accusés de mettre la société en péril.
Par ce texte, Fouchet signe l’un des manifestes abolitionnistes les plus puissants publiés dans Le Canard enchaîné, affirmant avec fermeté que le bon sens n’est pas l’ennemi de la justice, mais de la vengeance. En une époque où la guillotine fonctionne encore, sa plume s’élève, digne et lucide, contre une France que la peur fait vaciller.
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