N° 20 du Canard Enchaîné – 15 Novembre 1916
N° 20 du Canard Enchaîné – 15 Novembre 1916
99,00 €
En stock
Un écho de 1916 : la petite voix de la guerre
Quand les “petites correspondances” du Canard disent l’essentiel
Dans son numéro du 15 novembre 1916, Le Canard enchaîné glisse, dans la rubrique « Petite correspondance », une note brève mais révélatrice de l’époque. La Première Guerre bat son plein, et le journal satirique, tout juste né quelques mois plus tôt, choisit déjà le registre de l’ironie mordante pour commenter la tragédie quotidienne. Ce n’est pas un éditorial, ce n’est pas un dessin : juste quelques lignes qui condensent l’esprit du Canard. La guerre nourrit la satire, et la satire, en retour, devient une arme symbolique.
Légitime répugnance, dessin de Jules Depaquit.
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
Article (anonyme, sur les embusqués)
Un an après la première édition de 1915, le Canard revient à la charge contre les embusqués, ces profiteurs qui tirent avantage du chaos. Le ton est moins rageur que goguenard : les embusqués deviennent des personnages récurrents, presque folkloriques, mais toujours honnis. Dans un style incisif, le journal dénonce ceux qui spéculent sur la misère : commerçants qui gonflent les prix, boutiquiers qui profitent des restrictions, rentiers qui se repaissent de la guerre comme d’un placement juteux. Ici se cristallise une critique sociale : derrière le masque du patriotisme, c’est une lutte des classes que raconte le Canard, donnant aux poilus la revanche de l’ironie contre ceux qui évitent le sacrifice.
L'article "Le Civil (Petites Notes)" d'André Dahl,
publié dans Le Canard enchaîné le 15 novembre 1916, utilise l'ironie mordante pour critiquer les civils français pendant la Première Guerre mondiale. Dahl, en tant que journaliste satirique, se penche sur la mentalité et les comportements des civils, souvent en décalage avec la réalité du front.
L'auteur définit les civils comme ceux qui "ne sont pas sur le front". Leur absence sur le champ de bataille ne les empêche pas de se considérer comme impliqués, voire essentiels à l'effort de guerre. Dahl souligne que certains civils, bien qu'habillés en uniforme, continuent à penser et à agir en civils, contrairement aux soldats qui vivent et comprennent réellement la guerre. Cette dichotomie est la source principale de l'ironie dans l'article.
Dahl divise les civils en deux grandes catégories : ceux qui profitent de la guerre et ceux qui en souffrent. Ces individus sont visibles, bruyants, et actifs. Ils s'enrichissent souvent grâce à la guerre, en exploitant les situations à leur avantage. En revanche, ces civils sont silencieux, se cachent, et subissent les conséquences sans en tirer profit. La critique implicite ici est que les profiteurs dominent la perception publique des civils, bien qu'ils soient minoritaires.
Dahl critique aussi la crédulité des civils envers les médias et les "critiques militaires". Les civils lisent les journaux et croient tout ce qu'ils y trouvent, accumulant ainsi une grande quantité de désinformation. Ils placent une confiance aveugle dans les experts militaires médiatiques, renforçant leur ignorance de la réalité du front.
L'article trace l'évolution de l'attitude du civil au cours de la guerre. Le civil était timide et effacé au début de la guerre. À mi-chemin, il prend conscience de son rôle dans l'économie de guerre et devient plus assertif. Vers la fin de la guerre, le civil adopte un discours triomphaliste, s'attribuant le mérite des victoires militaires.
Les civils montrent une solidarité de surface en invitant les permissionnaires à dîner, mais leurs actions révèlent souvent une profonde ignorance de la vie au front. Ils offrent des repas spéciaux, tentent de montrer qu'ils se privent aussi, et demandent des récits de batailles, sans véritablement comprendre ce que les soldats vivent.
Dahl ironise sur la compréhension des civils concernant les batailles majeures comme Verdun et la Somme. Les civils attribuent les victoires à des éléments superficiels et tangibles qu'ils peuvent comprendre, comme les camions ou les fabricants d'obus, révélant ainsi leur incompréhension des véritables enjeux et sacrifices de la guerre.
En somme, "Le Civil (Petites Notes)" est une satire incisive de la déconnexion entre les civils français et la réalité de la guerre. Dahl expose avec humour et ironie l'ignorance, la crédulité, et parfois l'hypocrisie des civils, tout en reconnaissant que cette ignorance est, en fin de compte, inévitable. Les civils, malgré leurs efforts pour comprendre et participer, resteront toujours en dehors de l'expérience directe et brutale du front.
1916 : l’art du sous-entendu
Le Canard enchaîné trouve son ton
Le 15 novembre 1916, en pleine guerre, Le Canard enchaîné publie son numéro 20. Créé quelques mois plus tôt, en septembre, le journal doit composer avec la censure militaire tout en affirmant sa singularité : rire de tout, y compris de l’indicible. C’est dans la rubrique « Petite correspondance » que se niche cette audace. De prime abord anodine, elle permet au journal d’échapper aux interdictions directes : les textes courts, souvent présentés comme des échos ou des brèves, donnent au Canard une souplesse qui lui évite le couperet de la censure.
Cette note de novembre 1916 illustre parfaitement ce jeu de l’esquive. Derrière l’apparente banalité d’une “petite correspondance”, le journal dit l’essentiel : l’absurdité d’une guerre interminable, le décalage entre les discours officiels et la réalité des tranchées, la lassitude de toute une société. En quelques mots, le Canard met à nu ce que les longs discours patriotiques camouflent : la guerre ne s’arrête pas, et le quotidien des Français reste marqué par la peur, le deuil et les privations.
Ce dispositif n’est pas anecdotique : il s’inscrit dans une stratégie éditoriale. Contraint par les autorités militaires, le Canard invente un langage codé, où l’implicite prime sur l’explicite. L’ironie, le clin d’œil, la fausse naïveté deviennent des armes. La « Petite correspondance » n’est pas seulement une rubrique : elle est le symbole de la résistance souriante du journal, cette capacité à dire sans dire, à faire comprendre sans risquer la saisie du numéro.
En novembre 1916, le public du Canard est encore restreint, mais déjà fidèle. Le succès tiendra précisément à cette posture : être l’espace où l’on peut respirer un peu d’humour dans un monde saturé de communiqués officiels et de propagande. En ce sens, la « Petite correspondance » du 15 novembre ne vaut pas seulement pour son contenu : elle témoigne de l’invention d’un ton, d’une stratégie, et d’un style.
C’est ainsi que le journal, encore balbutiant, commence à construire son identité : celle d’un satirique irrévérencieux qui, même sous les obus, n’a jamais renoncé à rire.