N° 202 du Canard Enchaîné – 12 Mai 1920
N° 202 du Canard Enchaîné – 12 Mai 1920
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De l’inutilité, en quelque sorte, des Travailleurs
Pour la défense de l’ordre
12 mai 1920 : quand le gouvernement imagine une « gendarmerie mobile » pour courir après les grévistes et les malandrins, Le Canard enchaîné se régale. Dans une chronique au vitriol, René Buzelin raille la lourdeur des casernes figées et se moque de l’idée de transformer les gendarmes en roulottes automobiles. Sous couvert de logique administrative, c’est surtout la militarisation rampante de l’espace public que le journal dénonce, dans une France encore agitée par les grèves de l’après-guerre.
A l’Union Civique, dessin de Bécan –
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L’article de René Buzelin, publié le 12 mai 1920 sous le titre « Pour la Défense de l’Ordre », est un exemple éclatant de la manière dont Le Canard enchaîné savait mêler humour et critique politique. Il part d’un fait apparemment technique : la proposition d’André Lefèvre, alors ministre de la Guerre, de créer une « gendarmerie mobile » afin de moderniser la police rurale et d’assurer un meilleur contrôle des campagnes.
À première vue, le projet répond à un constat pragmatique : les casernes de gendarmerie sont des bâtiments fixes, souvent réduits à n’être que des cartes postales pittoresques, incapables d’assurer une présence rapide sur le terrain. Les gendarmes, contraints de longues marches pour rattraper un voleur de poules ou un gréviste en fuite, finissent par revenir fourbus à leur caserne. La solution avancée par Lefèvre ? Les rendre mobiles grâce à des véhicules, bientôt automobiles, capables de projeter la force de l’ordre jusque dans les coins les plus reculés.
Mais Buzelin ne s’y trompe pas : derrière l’efficacité vantée, il y a une logique inquiétante. Transformer les gendarmes en unités mobiles, c’est leur donner la possibilité d’intervenir partout, à tout moment, au plus près des foyers de contestation sociale. Or, en 1920, la France est traversée par de fortes tensions : la vague de grèves de 1919 a secoué le pays, le mouvement ouvrier s’organise, la CGT est puissante, et les élites redoutent une contagion révolutionnaire sur le modèle russe. La « gendarmerie mobile » apparaît donc moins comme une mesure de commodité que comme une réponse directe à la peur sociale et au maintien d’un ordre menacé.
Le ton du Canard est ironique. Buzelin décrit ces nouvelles brigades comme de confortables roulottes, à peine distinguables des « guimbardes des romanichels », mais bien plus faciles à poursuivre. Il souligne aussi, non sans sarcasme, que les habitants auront peut-être du mal à retrouver leur gendarmerie lorsqu’ils en auront besoin : effet pervers d’une police devenue errante.
Cet article témoigne d’un moment charnière. En 1921, sera effectivement créée la « Garde républicaine mobile », ancêtre de nos actuels CRS. Ce que Buzelin raillait comme une utopie bureaucratique allait devenir une institution centrale de l’appareil répressif français. Derrière la plaisanterie sur les roulottes, le Canard pointait donc une mutation profonde : l’adaptation de l’État à la conflictualité sociale, par une police mobile pensée avant tout pour contenir la rue et les mouvements populaires.





