N° 214 du Canard Enchaîné – 4 Août 1920
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Pour mettre les choses au point – La Journée de M. André Lefèvre
Le 4 août 1920, Le Canard enchaîné s’empare d’une rumeur qui enflamme Paris : le ministre de la Guerre André Lefèvre serait interné pour folie. Dans une satire mordante signée Victor Snell, le journal « rassure » ses lecteurs en décrivant avec force détails son quotidien à Sainte-Anne. Entre lavements matinaux, colères improvisées et illusions de grandeur, c’est toute une époque qui se reflète : celle d’une République fragilisée par les crises, où la santé des dirigeants devient matière à raillerie publique.
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L’article de Victor Snell, paru en page 2 du Canard enchaîné du 4 août 1920, illustre parfaitement l’art du journal à mêler chronique politique et humour grinçant. Sous le titre « La Journée de M. André Lefèvre », le ministre de la Guerre est décrit non pas dans son bureau ministériel, mais à Sainte-Anne, l’hôpital psychiatrique parisien.
Depuis plusieurs semaines, des rumeurs circulaient sur l’état mental d’André Lefèvre, nommé ministre en janvier 1920, en pleine réorganisation de l’armée française. Le contexte est lourd : la guerre est terminée depuis moins de deux ans, mais la France, épuisée par le conflit, doit gérer à la fois la démobilisation, les tensions sociales (grèves, vie chère) et la montée des nationalismes. Dans ce climat, tout signe de faiblesse d’un responsable politique devient un prétexte à moquerie et, pour Le Canard, à satire.
Snell joue ici sur une mise en scène loufoque : Lefèvre ne serait pas gardé par des policiers, mais par deux infirmiers qui, parfois, doivent l’attacher. Sa « journée type » est racontée comme un emploi du temps rigoureux : toilette sous surveillance, discussions animées où il se prend pour le maréchal Joffre ou le président de la République, après-midi consacré à un mystérieux « plan 18 » (clin d’œil aux réformes militaires en débat), puis coucher « sans camisole, en simple pyjama ». La description, faussement rassurante, n’a qu’un but : tourner en dérision un ministre jugé fantasque, tout en soulignant la gravité de la situation politique.
Le choix de Sainte-Anne n’est pas anodin. L’asile psychiatrique parisien est à la fois un lieu bien réel, associé à la folie, et un décor de caricature où l’on peut enfermer symboliquement les élites jugées incapables de gouverner. En plaçant Lefèvre dans ce cadre, le Canard joue sur une imagerie connue de tous ses lecteurs.
Au-delà de l’attaque personnelle, l’article exprime un malaise collectif : en 1920, le pouvoir républicain semble fragile, gouverné par des hommes fatigués ou décalés, incapables de répondre aux aspirations sociales. En exagérant les travers de Lefèvre, Le Canard donne à voir une République en crise de crédibilité.
Cette chronique de Snell montre combien l’humour satirique servait aussi d’aiguillon politique. Derrière la caricature d’un ministre interné, c’est toute la défiance envers une classe dirigeante jugée dépassée qui transparaît.