N° 219 du Canard Enchaîné – 8 Septembre 1920
N° 219 du Canard Enchaîné – 8 Septembre 1920
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DERNIÈRE HEURE
M. Victor Augagneur prend possession de son Gouvernement
En septembre 1920, Le Canard enchaîné croque à sa manière l’installation de Victor Augagneur comme gouverneur général de l’Afrique équatoriale française. Entre cérémonial colonial, discours paternalistes et festivités bricolées à Brazzaville, le récit tourne en dérision les pompes d’un Empire qui se veut civilisateur mais qui peine à masquer son arrogance et son décalage avec la réalité locale.
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Le 8 septembre 1920, dans sa rubrique « Dernière heure », Le Canard enchaîné raconte l’arrivée de Victor Augagneur à Brazzaville pour prendre ses fonctions de gouverneur général de l’Afrique équatoriale française. Le journal transforme ce moment officiel en une véritable farce, révélant par la satire les travers de l’administration coloniale.
La cérémonie d’accueil, censée être solennelle, est présentée comme un spectacle maladroit. Quelques habitants entonnent un chant rituel que le journal traduit avec ironie en une formule de soumission : « Que le Grand Esprit couvre de ses bienfaits la France qui nous gouverne ». Ce décalage souligne la mise en scène artificielle d’un Empire qui se veut adoré.
Le personnage d’Augagneur est croqué avec une cruauté amusée. Fatigué, empâté, il se déplace à peine et fait de son canapé un trône ambulant. On « réinaugure » même son sofa, comme si cet objet devenait plus important que la prise de fonction elle-même. Cette obsession du confort ridiculise le gouverneur, réduit à une figure de mollesse bureaucratique.
Puis viennent les discours. Augagneur se proclame « ami » des Africains, promet de leur apporter les bienfaits de la civilisation, de l’éducation et du progrès. Mais le Canard juxtapose ces envolées aux détails dérisoires de la fête : quelques danses, des bals improvisés, un enthousiasme populaire qui semble moins spontané que commandé. L’effet satirique naît de ce contraste entre la solennité des paroles et la vacuité de la scène.
Pour comprendre la cible, il faut rappeler la trajectoire politique de Victor Augagneur (1855-1931). Ancien maire socialiste de Lyon, député radical-socialiste, il fut ministre à plusieurs reprises (Travaux publics, Marine, Colonies). Rallié aux gouvernements de l’Union sacrée pendant la Grande Guerre, il se fit l’avocat d’une politique navale et coloniale ambitieuse. En 1920, son envoi en Afrique équatoriale apparaît comme une manière d’écarter une figure politique vieillissante, mais encore encombrante : on lui confie un poste prestigieux, mais éloigné de Paris.
Le Canard enchaîné se saisit donc de cette nomination pour brocarder à la fois l’homme et le système colonial. Augagneur, ancien radical devenu colonialiste, incarne cette République qui se dit progressiste mais exerce outre-mer une domination paternaliste. Son installation grotesque à Brazzaville devient un symbole : derrière les discours sur la « mission civilisatrice », il n’y a souvent que des rituels creux, de l’arrogance et des mises en scène absurdes.
En ridiculisant le gouverneur et son sofa, le journal attaque en réalité une prétention plus vaste : celle de l’Empire français à « posséder » des peuples et des territoires au nom du progrès. Derrière le rire, on devine déjà une critique profonde du colonialisme.