N° 222 du Canard Enchaîné – 29 Septembre 1920
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La Transfiguration de M. Millerand
À peine installé à l’Élysée, Alexandre Millerand est déjà la cible des plumes satiriques. Dans un article au vitriol, La Fouchardière démonte la « transfiguration » physique et morale qu’imposerait la fonction présidentielle. Derrière l’ironie, c’est tout le rituel républicain qui est moqué : la majesté des chefs d’État, leur mise en scène de respectabilité, et la machine à illusions qu’est la présidence française.
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L’article de Georges de La Fouchardière, publié le 29 septembre 1920, illustre parfaitement la manière dont Le Canard enchaîné s’emploie à déboulonner les statues vivantes de la République. Intitulé « La Transfiguration de M. Millerand », il raille l’accession d’Alexandre Millerand à la présidence, survenue le 23 septembre, après la démission forcée de Paul Deschanel.
Le propos de La Fouchardière repose sur un paradoxe : les présidents de la République française, nous dit-il, deviennent « beaux » en accédant à la fonction. Non pas beaux au sens esthétique, mais transfigurés par le décorum, la pompe, la mise en scène solennelle. De simples mortels – Deschanel, Briand, Millerand – acquièrent d’un coup de sceptre une allure de majesté. Cette « beauté présidentielle », suggère ironiquement l’auteur, n’est qu’une fiction imposée aux regards : elle ne résulte pas de la nature, mais du protocole.
Le contexte historique est crucial. Depuis la chute de Clemenceau en janvier 1920, la République a connu une succession de crises. Paul Deschanel, élu président en février, a sombré rapidement dans l’épuisement et l’instabilité mentale, jusqu’à sa démission. Millerand, ancien socialiste rallié à la droite, devient président dans un climat de doute : la République paraît fragile, la fonction présidentielle vidée de substance, réduite à un rôle cérémoniel. La Fouchardière met en lumière ce vide, en tournant en dérision les artifices qui confèrent aux chefs d’État une apparence de grandeur.
L’auteur ironise sur ces présidents « beaux comme les rois parce que, comme les rois, ils s’ennuient puissamment ». Cette formule caustique résume sa critique : le pouvoir suprême en France, loin d’être une source d’action, est un théâtre d’ennui et de postures. Il évoque aussi la métamorphose physique, comme si la barbe de Fallières, le monocle de Poincaré ou la silhouette massive de Millerand étaient autant d’accessoires au service d’un rôle, plus que des traits réels.
En filigrane, l’article dénonce une République de façade, où la fonction présidentielle relève davantage de la comédie sociale que d’une autorité effective. En 1920, cette satire trouve un écho particulier : la France est encore meurtrie par la guerre, minée par la vie chère et l’instabilité ministérielle, et les institutions semblent se réfugier dans le formalisme et l’apparat.
Avec cet article, La Fouchardière livre une leçon intemporelle : les dirigeants ne sont pas grands par eux-mêmes, mais par le regard – souvent complaisant – que la société accepte de poser sur eux. Derrière la raillerie, Le Canard rappelle que le rire est une arme politique, capable de fissurer la majesté la plus imposante.





