N° 224 du Canard Enchaîné – 13 Octobre 1920
N° 224 du Canard Enchaîné – 13 Octobre 1920
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POUR NOTRE SPORT NATIONAL – Deux magnifiques réunions au Chemindeferodrome Le Troquer
En 1920, Paris invente un sport improbable : les courses de trains ! Dans un style parodique digne des grands comptes rendus hippiques, Victor Snell raconte les « triomphes » du Chemindeferodrome de Houilles. Entre satire des compétitions modernes et moquerie du culte du progrès, Le Canard transforme la technique ferroviaire en véritable cirque national.
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Dans son numéro du 13 octobre 1920, Le Canard enchaîné confie à Victor Snell le soin de chroniquer une innovation pour le moins extravagante : les « réunions » organisées au Chemindeferodrome Le Troquer, un terrain où l’on ne fait pas courir des chevaux… mais des locomotives. L’article, pastiche assumé des comptes rendus sportifs, illustre à merveille le ton du journal : transformer l’actualité industrielle en une farce jubilatoire.
Le texte reprend tous les codes de la presse hippique ou cycliste : « succès complet », « tribunes décorées aux couleurs nationales », « enthousiasme des spectateurs ». Mais à la place des jockeys et des pur-sang, ce sont des convois ferroviaires qui s’affrontent, sous l’œil amusé du public. Les métaphores sportives s’enchaînent : tel train est « knock-out », tel autre réussit un « passage de rivière », les collisions sont décrites comme des chocs d’obstacles. Le dessin qui accompagne l’article – des locomotives cabrées comme des chevaux au galop – accentue encore le caractère burlesque.
Ce détournement comique a une fonction critique. En 1920, la France sort exsangue de la guerre, mais la rhétorique du progrès et de la modernité bat son plein. On célèbre la machine, la vitesse, la compétition industrielle. Snell renverse cette glorification en spectacle grotesque : les trains deviennent des athlètes de foire, l’innovation technique un divertissement de stade. Le Canard souligne ainsi l’absurdité d’une société qui, au lieu de penser aux besoins concrets (le logement, la reconstruction, la vie chère), préfère célébrer des exhibitions d’acier.
L’article n’est pas sans rappeler la vogue des « expositions de progrès » de l’époque, où l’on organisait des démonstrations spectaculaires d’aviation, d’automobile, ou d’électricité. Ici, Snell pousse le procédé à l’extrême, imaginant une arène nationale du rail, avec ses supporters, ses drapeaux tricolores et ses hymnes chantés. En filigrane, il se moque aussi de la ferveur patriotique recyclée dans les événements de masse, cette manière de transformer toute manifestation publique en rituel nationaliste.
Le Chemindeferodrome devient donc une allégorie : la France de 1920, fascinée par la machine, tente de retrouver son souffle dans des compétitions absurdes, où l’on acclame des locomotives comme autrefois des champions olympiques. Par l’exagération et le pastiche, le Canard révèle une vérité grinçante : le progrès, brandi comme fierté nationale, n’est souvent qu’un spectacle destiné à distraire et à détourner l’opinion des vrais enjeux.
Un siècle plus tard, cet article résonne encore. À l’heure où l’on transforme chaque prouesse technologique en show médiatique, la satire de Snell garde toute son actualité : sous les drapeaux et les fanfares, le progrès n’est pas toujours là où on nous dit qu’il est.

      



