N° 225 du Canard Enchaîné – 20 Octobre 1920
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Le 25 Novembre sera la journée du Commerce Parisien, mais le 26 pourra être celle des consommateurs
Patriotisme de comptoir : quand l’emprunt devient l’affaire des épiciers parisiens
Le 25 novembre 1920, Paris devait célébrer sa grande « Journée du commerce ». Derrière cette opération, lancée avec tambours et trompettes patriotiques, se cache surtout un coup de communication : obliger les commerçants à reverser le produit de leurs ventes à l’Emprunt. Le Canard, sous la plume de Maurice Maréchal, démonte la mise en scène et pointe l’ironie : et pourquoi pas, le lendemain, faire payer les consommateurs pour combler l’État ?
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En cette fin d’année 1920, la France vit encore au rythme des séquelles de la Grande Guerre. La reconstruction, le remboursement de la dette et les réparations imposées à l’Allemagne alimentent un climat économique tendu. Le gouvernement multiplie les campagnes de souscription à l’Emprunt national, ces vastes opérations où l’épargne des particuliers est appelée à combler les caisses publiques. Dans ce contexte, les commerçants parisiens, soucieux de soigner leur image et de s’afficher comme de bons patriotes, décident de frapper un grand coup : le 25 novembre sera consacré à une « Journée du commerce parisien ».
Maurice Maréchal, fidèle à son humour corrosif, s’empare de l’affaire pour en souligner le ridicule. Le principe est simple : tous les commerçants de la capitale s’engagent à reverser intégralement à l’Emprunt le montant de leurs recettes de la journée. Une idée qui, présentée comme un élan de patriotisme, ressemble surtout à une opération de communication destinée à redorer le blason d’un secteur malmené par la vie chère et les critiques des consommateurs.
Le Canard s’en amuse : pourquoi s’arrêter là ? Si les commerçants peuvent livrer l’intégralité de leurs gains à l’État, pourquoi ne pas imaginer que les consommateurs fassent de même dès le lendemain ? La satire fonctionne d’autant mieux que le patriotisme invoqué apparaît comme un masque commode pour justifier une manœuvre de relations publiques. Derrière les grands mots, il s’agit avant tout de stimuler le commerce en enrobant l’opération d’une couche de vertu nationale.
Le dessin de la page, qui montre une cliente demandant à son mari de lui donner « vingt francs de plus » car « ce sera pour l’emprunt », appuie cette ironie : le sacrifice patriotique se dilue dans la trivialité du quotidien et des habitudes de consommation.
Historiquement, l’épisode reflète bien l’ambiance de l’après-guerre. La France, victorieuse mais épuisée, vit dans une économie d’endettement et de propagande financière. Les « Journées » et les « Quinzaine » patriotiques se succèdent pour encourager la population à soutenir la République, tout en masquant la dure réalité de la hausse des prix et du pouvoir d’achat amputé. Le Canard, qui se méfie des élans de patriotisme récupérés par les élites, dénonce la mascarade avec sa verve habituelle.
Ainsi, l’article de Maréchal ne se contente pas de moquer les commerçants. Il met en lumière un système où l’on demande sans cesse des sacrifices au peuple, mais où les bénéfices de ces « journées patriotiques » restent flous. Une critique qui rejoint l’un des leitmotive du journal : la dénonciation de la duplicité entre discours officiel et réalité sociale.
En définitive, cette « Journée du commerce parisien » apparaît comme un symbole de l’après-guerre : une République qui, faute de moyens, fait appel à la vertu patriotique des acteurs économiques, tandis que la presse satirique révèle l’envers du décor. Le 25 novembre devait être celui du commerce, le 26 celui des consommateurs, ironise Maréchal — comme pour rappeler que, dans la France de 1920, la solidarité nationale s’arrêtait bien souvent à la caisse.

      



