N° 226 du Canard Enchaîné – 27 Octobre 1920
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LES RESCAPÉS DE RUSSIE – Un nouveau convoi est arrivé à Paris – Chaleureuse réception à la Gare du Nord
À l’automne 1920, Paris accueille à la gare du Nord un convoi de réfugiés russes, rescapés du chaos bolchevique. Coriem en livre une chronique mêlant pathos officiel, ferveur patriotique et ironie mordante. Derrière les discours et les larmes, Le Canard pointe l’instrumentalisation politique de ces naufragés de l’Histoire.
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L’article de Maurice Coriem, publié le 27 octobre 1920, s’inscrit dans une actualité brûlante : l’afflux à Paris de réfugiés russes fuyant la guerre civile et la répression bolchevique. Depuis 1917, la révolution en Russie a bouleversé l’Europe, divisant les opinions entre sympathisants de Lénine et farouches adversaires du communisme. En France, la presse conservatrice multiplie alors les récits atroces sur la « barbarie rouge », destinés à entretenir la peur et à justifier un soutien aux « Russes blancs » exilés.
Coriem adopte une double posture : il reprend les codes d’un reportage pathétique — longues descriptions de vieillards aux « cheveux blancs », d’enfants amaigris, de femmes brisées — tout en laissant percer une distance ironique face à la mise en scène orchestrée par les autorités françaises. La présence massive de personnalités (préfet de police, hauts fonctionnaires, diplomates, policiers) souligne que cette arrivée de réfugiés est autant un drame humain qu’un spectacle politique.
Le texte abonde en détails caricaturaux qui renvoient au style satirique du Canard. Le convoi est décrit comme une « arrivée triomphale », le train félicité d’avoir parcouru son trajet « sans rupture d’attelage ». La cérémonie tourne à la parodie : on serre les freins « pour immobiliser définitivement le convoi » comme si l’on craignait que les rescapés s’échappent ; on acclame Millerand et Honorat plutôt que les malheureux rescapés eux-mêmes. Le registre officiel se mêle au grotesque, révélant la façon dont la souffrance est récupérée pour servir le discours anticommuniste.
Historiquement, cet épisode illustre le basculement de la France de l’après-guerre vers une inquiétude croissante face à l’« ennemi intérieur » : les bolcheviks, mais aussi les grévistes, souvent accusés de collusion avec Moscou. En multipliant les récits sur les « horreurs russes », on légitime la répression des mouvements sociaux en France. Coriem, par la satire, dénonce ce glissement : l’humanitaire n’est qu’un prétexte pour renforcer l’ordre établi.
Enfin, l’article témoigne d’une technique chère au Canard enchaîné : donner à voir la disproportion entre la gravité du drame (les survivants de Moscou) et la trivialité des réactions officielles. Cette tension produit un humour amer, révélateur d’une époque où la politique se nourrissait déjà de la dramatisation médiatique.
En somme, ce reportage satirique transforme une « chaude réception » en miroir cruel des contradictions françaises de 1920 : compatir aux malheurs de l’étranger, mais surtout y trouver une arme contre l’ennemi intérieur.





