N° 236 du Canard Enchaîné – 5 Janvier 1921
N° 236 du Canard Enchaîné – 5 Janvier 1921
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La lanterne du Bouif
Où il est question de quelques dingos
Dans sa « lanterne », La Fouchardière éclaire les absurdités du temps : désarmement allemand rêvé par certains, invasion fantasmée de météorologues étrangers, naturalisations opportunistes… et même la belle-mère déguisée en courant d’air ! En ce début 1921, l’auteur croque avec ironie une France encore hantée par les fantômes de la guerre, obsédée par la sécurité et prompte à soupçonner tout ce qui bouge.
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Le 5 janvier 1921, Le Canard enchaîné ouvre sa deuxième page à la plume acérée de Georges de La Fouchardière. Sa chronique « La lanterne du Bouif », déjà bien installée, joue ici son rôle de contrepoint satirique aux alarmes politiques et militaires qui rythment l’après-guerre. Le titre même, « Où il est question de quelques dingos », annonce la couleur : La Fouchardière s’attaque à la déraison ambiante, aux obsessions sécuritaires et aux lubies parlementaires, en moquant la crédulité d’un public gavé de rumeurs.
Le texte s’ouvre sur le projet attribué à André Lefèvre, ministre de la Guerre, qui imagine désarmer l’Allemagne en installant des soldats boches… dans les garnisons françaises ! La Fouchardière s’amuse de ce paradoxe : empêcher l’ennemi de nuire en le plaçant au cœur même de la maison, sous l’œil supposé vigilant des gendarmes et des préfets. En une pirouette, il dénonce le caractère irréaliste des solutions avancées dans le climat anxieux de l’époque. Car en ce début de décennie, la France demeure hantée par la menace allemande : le traité de Versailles (1919) a imposé des conditions sévères, mais la méfiance reste totale et chaque projet de « sécurité » suscite débats et railleries.
Puis la chronique glisse vers d’autres « dangers » tout aussi grotesques : « l’infiltration des étrangers » et le « naturalisme des métèques ». Les mots reprennent les obsessions nationalistes et xénophobes qui montent dans la société française. La Fouchardière les démonte en les poussant à l’absurde : il évoque sa belle-mère capable de franchir les douanes en bouteille de fine vidée, ou encore des naturalisations instrumentalisées, comme celle d’un François-Marsal en quête de sénateurs auvergnats. Derrière la caricature, on devine une critique des discours nationalistes et des arrangements politiciens qui faisaient la une des journaux.
Tout y passe : le péril étranger vu partout, des Clara Zeppelin aux biologistes amateurs ; les métaphores culinaires (« le ravioli spumante », « le gnocchi funiculu ») qui ridiculisent les paniques identitaires ; jusqu’à l’évocation de D’Annunzio, poète-aventurier italien alors retiré à Gardone, dont on craint qu’il ne vienne planter ses farces en France. La Fouchardière s’amuse à montrer combien la peur peut tourner au ridicule.
Cette chronique, sous des airs légers, est un miroir fidèle des tensions de 1921. La France est encore épuisée par la guerre, le spectre de l’invasion reste vif, et les débats sur la sécurité nationale, les naturalisations ou la présence étrangère se multiplient. Mais dans « La lanterne du Bouif », ces « dangers » se révèlent n’être que des prétextes pour alimenter des angoisses collectives – des « dingos », pour reprendre le mot de l’auteur.
La force de La Fouchardière tient à sa capacité à mêler dialogues populaires, anecdotes de comptoir et satire politique. Ses personnages – Bicard, le Bouif – discutent comme au café, et par leur naïveté feinte révèlent l’absurdité des discours officiels. L’humour joue alors un rôle de salubrité publique : rappeler, avec un sourire ironique, que la peur est souvent plus dangereuse que l’ennemi qu’elle prétend conjurer.
Ainsi, en ce début d’année 1921, Le Canard enchaîné offrait à ses lecteurs une leçon de distance. Face aux « dingos » de la politique et de la presse, mieux vaut garder son sang-froid… et rire de leurs extravagances.





