N° 241 du Canard Enchaîné – 9 Février 1921
N° 241 du Canard Enchaîné – 9 Février 1921
79,00 €
En stock
« L’âme populaire »
A la une ce numéro, le Canard enchaîné s’attaque à une formule galvaudée de la presse nationaliste : « l’âme populaire ». Derrière cette expression pompeuse, il débusque la tentative d’appropriation rhétorique des émotions collectives par des journaux qui prétendent parler au nom du peuple tout en relayant un discours conservateur. La satire montre à quel point ces appels au sentiment sont artificiels, construits pour légitimer l’ordre social et les sacrifices consentis. En ridiculisant l’« âme » mise en avant par ses confrères, le Canard rappelle que les vraies voix populaires sont ailleurs, dans la diversité des lecteurs et des contributeurs qui nourrissent ses colonnes. Ici, l’humour fonctionne comme une critique sociale autant que politique, en soulignant le décalage entre la prose lacrymale des éditoriaux et la réalité vécue dans l’après-guerre.
Dans une parodie désopilante d’« examen » pour futurs reporters, Maurice Coriem dévoile l’envers d’un journalisme formaté, répétitif et sensationnaliste. Chaque réponse du « candidat journaliste » se réduit à des clichés tout prêts : le bandit « terrorisait littéralement le quartier », la police engage une « lutte furieuse », la foule « pousse un véritable soupir de soulagement ». Avec ce pastiche publié le 9 février 1921, Le Canard enchaîné raille la presse à sensation et ses formules toutes faites, au moment où l’information devient un produit de masse.
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
Dans son texte intitulé « Examen à l’École de Journalisme », publié dans Le Canard enchaîné du 9 février 1921, Maurice Coriem (pseudonyme de Maurice Charriat) signe une satire mordante du journalisme de son temps. Sous la forme d’un dialogue entre un examinateur et un candidat, il met en scène un test d’aptitude dont les réponses ne consistent qu’en formules stéréotypées, vidées de sens mais ressassées par la presse quotidienne.
La cible est claire : ces grands journaux populaires – le texte cite le Petit Parisien – qui nourrissent leur lectorat d’histoires de crimes et de faits divers enrobés dans un langage convenu. Tout y est : les « redoutables bandes d’apaches » qui terrorisent le quartier, les policiers qui engagent une « lutte furieuse », le « forcené » qui oppose une « résistance désespérée », le commissaire de police qui « procède aux premières constatations », le cadavre qui « baignait dans une mare de sang », la foule « contenue par un important service d’ordre »… Coriem reconstitue cette mécanique à coups de phrases toutes prêtes, répétées au point de devenir des automatismes journalistiques.
La critique vise donc l’appauvrissement du langage et la paresse intellectuelle : l’« école » de journalisme que raille Coriem n’enseigne pas à observer, enquêter ou analyser, mais simplement à réciter un stock de clichés. Le candidat, incapable d’improviser, n’a qu’à se raccrocher à cette litanie, et réussira son examen s’il maîtrise ce jargon figé. La chute est éloquente : « Ce n’est qu’après avoir pu répondre de cette manière satisfaisante qu’on peut entrer au Petit Parisien. »
Pour replacer ce texte dans son contexte, rappelons que la presse populaire connaît alors un essor considérable. En 1920, le Petit Parisien tire à plus d’un million d’exemplaires, en partie grâce aux faits divers qu’il met en avant. La concurrence pousse les journaux à dramatiser les affaires criminelles, et les journalistes développent des « recettes » d’écriture qui assurent le succès auprès d’un public avide de sensations. À rebours, Le Canard enchaîné se pose en observateur ironique et dénonce cette standardisation de l’information.
Maurice Coriem, en tournant en ridicule ces tics de langage, s’inscrit dans une tradition satirique qui traverse l’histoire du journal : rappeler que les mots, loin d’être neutres, façonnent la perception du réel. En dénonçant le prêt-à-porter de la presse de masse, il défend une idée exigeante du métier : informer suppose autre chose qu’aligner des phrases convenues.
L’« examen » imaginaire proposé par Coriem est donc moins une fantaisie qu’un miroir tendu au lecteur : si ces clichés nous font sourire, c’est aussi parce qu’ils nous sont familiers, lus et relus dans les colonnes de la presse quotidienne. Ce pastiche rappelle, en 1921 comme aujourd’hui, combien l’esprit critique est nécessaire face à l’information répétée, dramatisée, standardisée.

 
      



