N° 258 du Canard Enchaîné – 8 Juin 1921
N° 258 du Canard Enchaîné – 8 Juin 1921
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ON ROUVRE A LA GUYANE : Le premier départ a été très brillant et il a donné lieu à d’émouvants incidents
En juin 1921, la France rouvre officiellement la route du bagne vers la Guyane. Le départ du navire Duala, relaté dans Le Canard enchaîné, est décrit comme une grande cérémonie publique, presque festive, avec autorités, discours et foule curieuse. Mais derrière l’ironie des descriptions et les images de « pèlerinage » national, le journal souligne la brutalité d’un système pénitentiaire colonial qui, sous couvert d’ordre et de dignité, expédie des hommes vers l’enfer du bagne de Cayenne.
Ultimatum, dessin de Mat –
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Le 8 juin 1921, Le Canard enchaîné consacre sa une à un événement qui, à première vue, pourrait paraître anodin : le départ du navire Duala vers la Guyane. Mais cet article ironique éclaire en fait l’un des aspects les plus sombres de la France coloniale : la réouverture de la transportation pénitentiaire, interrompue depuis la guerre.
Le récit, signé par un correspondant, décrit avec un humour grinçant la mise en scène officielle. Le départ des condamnés prend des allures d’inauguration, avec personnalités politiques et militaires, représentants de l’alimentation et du ravitaillement, discours empreints de dignité, et forces de police alignées pour encadrer l’événement. La cérémonie est qualifiée de « très brillante », comme s’il s’agissait d’un départ de croisière ou d’une fête nationale. Le Canard souligne ce contraste absurde entre la gravité de ce transfert et la solennité théâtrale dont on l’entoure.
Le texte met en avant les dialogues savoureux, où l’on s’attarde sur les uniformes, les bonnets ou les effets vestimentaires destinés aux détenus. Les autorités se félicitent de l’organisation impeccable, de la solidité des embarcations et de la « dignité » des prisonniers. L’ironie perce dans chaque phrase : la presse officielle et les notables décrivent avec componction ce qui n’est rien d’autre que l’envoi d’hommes vers l’une des destinations les plus redoutées du monde colonial, le bagne de Cayenne.
Historiquement, cette reprise de la transportation s’inscrit dans un contexte lourd. Après l’arrêt du système durant la guerre, l’État reprend en 1921 les envois de condamnés vers la Guyane, où la colonie pénitentiaire, créée au XIXᵉ siècle, était censée à la fois purger la société métropolitaine de ses « indésirables » et peupler la colonie. Mais dans les faits, la Guyane est devenue le symbole d’un enfer tropical, où les bagnards meurent de maladie, d’épuisement ou de malnutrition. Le départ du Duala marque donc le retour d’une politique contestée, dénoncée par certains comme inhumaine et inefficace, mais toujours défendue par l’administration comme une nécessité pour l’ordre social.
Le Canard enchaîné, fidèle à sa vocation satirique, ne dénonce pas frontalement le bagne : il choisit plutôt de le montrer sous l’angle du grotesque. Les cérémonies officielles, les paroles rassurantes des ministres, les gendarmes encadrant la foule, tout cela est décrit comme une comédie. L’émotion du public, invitée à applaudir ou à s’émouvoir devant les condamnés qui s’éloignent, devient le révélateur d’un paradoxe : transformer en spectacle une mesure de répression brutale.
Ce traitement ironique permet au journal d’exprimer une critique implicite : en 1921, la République, sortie victorieuse de la guerre, se targue de défendre les droits de l’homme tout en perpétuant un système pénitentiaire colonial indigne. L’article du Canard rappelle, sous couvert d’humour, que la modernité politique de la France reste entachée par ses pratiques d’exclusion et de violence.
Ainsi, ce « premier départ brillant » du Duala devient, dans la chronique satirique du Canard, le symbole de l’hypocrisie républicaine : transformer en cérémonie patriotique ce qui n’est, au fond, qu’une déportation vers l’enfer du bagne.





