N° 2722 du Canard Enchaîné – 27 Décembre 1972
N° 2722 du Canard Enchaîné – 27 Décembre 1972
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Si vous allez à Nuremberg…
Quand Hanoï croule sous les bombes de Nixon, Le Canard évoque Nuremberg pour rappeler que certains crimes dépassent la politique pour entrer dans l’histoire de l’humanité. Un texte brûlant, où l’ironie mordante souligne l’impuissance du monde face à l’horreur organisée.
La gratte de Lascaux : quand l’art préhistorique rencontre la tambouille politico-financière.
À l’heure où la grotte sacrée du paléolithique devient un terrain d’expérimentation pour commissions, experts et investisseurs, Le Canard gratte derrière le vernis. Entre algues vertes, visites « bien commissionnées » et projets de reconstitution, c’est moins la beauté des bisons que l’appétit des promoteurs qui saute aux yeux.
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« Si vous allez à Nuremberg… »
Quand le Canard convoque la mémoire des crimes
En ce 27 décembre 1972, Le Canard enchaîné frappe fort en une, avec un texte qui fait écho aux bombardements massifs menés par les États-Unis sur le Nord-Vietnam. L’édito, dont le titre renvoie au tribunal de Nuremberg, n’a rien d’une simple chronique : c’est un acte d’accusation. Nixon, accusé d’orchestrer la destruction de Hanoï et de ses habitants, est placé dans la continuité des grands criminels jugés à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le texte s’ouvre sur une constatation glaçante : des millions d’hommes et de femmes, témoins de l’horreur, ressentent l’impuissance de voir la science mise au service de l’anéantissement. Là où les catastrophes naturelles échappent au contrôle humain, ici c’est la froide rationalité technologique qui organise la mort. Le contraste entre l’Amérique des droits proclamés et l’Amérique des bombes est souligné avec amertume.
La plume du Canard rappelle également l’indifférence — ou la lâcheté — des autres puissances. Quelques pays, comme l’Inde ou la Suède, osent protester. Mais la France, soucieuse de son statut dans le « Club des Grands », choisit le silence, préférant la place à la table des puissants à une parole de vérité. Ce mutisme des nations fait écho, selon l’éditorialiste, au cynisme du secrétaire général de l’ONU, Kurt Waldheim, accusé de ne pas vouloir troubler l’ordre établi.
L’ironie du Canard se fait tranchante : « Nous rêvons. Personne ne demande la réunion des Nations unies… ». Car derrière l’indignation se devine une résignation : le monde ne bougera pas. Le texte, pourtant, garde une flamme. En évoquant le procès de Nuremberg, il rappelle qu’il existe des moments où l’histoire prend ses responsabilités et désigne clairement les coupables.
L’appel final – « espérons qu’à Nuremberg comme partout ailleurs on vous recevra chaudement » – mêle sarcasme et gravité. C’est une condamnation morale qui vaut sentence : Nixon sera jugé, si ce n’est dans un tribunal officiel, du moins par l’histoire et par les consciences.
En mobilisant la mémoire de Nuremberg, le Canard ne se contente pas de dénoncer les bombardements : il inscrit l’événement dans la lignée des crimes contre l’humanité. Un parallèle audacieux, qui illustre la puissance du journal lorsqu’il met son humour au service de la colère.
La gratte de Lascaux
Quand les merveilles préhistoriques deviennent affaires modernes
En cette fin d’année 1972, Le Canard enchaîné s’amuse des mésaventures de la grotte de Lascaux, ce trésor archéologique découvert en 1940 et transformé, trente ans plus tard, en affaire politico-financière. Fermée au public en 1963 à cause d’une prolifération d’algues et de dégradations liées à l’afflux de visiteurs, la grotte a depuis alimenté une véritable « industrie » des commissions, experts et projets de substitution.
Le journal rappelle, non sans ironie, comment l’État, les héritiers de la Rochefoucauld et une kyrielle d’institutions se disputent les droits et bénéfices liés à l’exploitation du site. De la « chapelle Sixtine de la préhistoire », on est passé à une caverne aux milliards : commissions pléthoriques, indemnisations discrètes et « mises au point » scientifiques ou politiques se succèdent, souvent plus fumeuses qu’éclairantes.
La satire vise particulièrement la logique de reconstitution. Puisque la grotte est condamnée, on bâtira une « Lascaux-bis », avec copies fidèles et infrastructures touristiques flambant neuves. Ce projet, relayé avec enthousiasme par certains officiels, apparaît pour Le Canard comme une caricature de la marchandisation du patrimoine : transformer un sanctuaire fragile en attraction calibrée, vendue à coup de prospectus et d’entrées payantes.
Sous la plume acérée du journal, le patrimoine devient un miroir grossissant des dérives administratives et financières : crédits détournés, « commissions » qui commissionnent surtout leurs membres, et un État oscillant entre protection affichée et exploitation commerciale.
L’humour du titre, « La gratte de Lascaux », dit tout : gratte des parois abîmées, gratte financière, gratte bureaucratique… Ce n’est plus seulement la préhistoire qu’on conserve, mais une certaine tradition bien française de transformer les trésors communs en affaires douteuses.
Ainsi, derrière le vernis de la sauvegarde, c’est l’éternelle comédie de la République qui se dessine, où l’art devient prétexte à enrichissements et batailles de couloirs. Une fois encore, Le Canard gratte là où ça fait mal — jusque dans la roche millénaire de Lascaux.