N° 2741 du Canard Enchaîné – 9 Mai 1973
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La grande illusion
Nixon, Watergate et la lucidité démocratique
Dans son article du 9 mai 1973, Philippe Tesson signe dans Le Canard enchaîné une chronique intitulée « La grande illusion », au cœur du scandale du Watergate qui secoue alors les États-Unis. Le texte se lit comme une mise en garde contre les excès d’optimisme ou de naïveté : croire que l’affaire se résoudra mécaniquement par la seule force de l’indignation populaire, ou qu’elle mènera à une chute rapide de Richard Nixon, relève selon lui d’une illusion.
Tesson commence par rappeler une constante de la vie politique américaine : les présidents, même compromis, savent souvent survivre aux tempêtes. Nixon, dit-il, n’est pas du genre à se laisser abattre. Il possède une qualité rare : l’art de se réinventer, d’apparaître imperturbable même lorsque la crise gronde. Là où certains croient voir le signe de sa fin, Tesson perçoit au contraire la possibilité d’une manœuvre habile, une récupération habile de l’épreuve pour se présenter en athlète de la résistance.
Le journaliste refuse également de prêter à l’opinion publique américaine une lucidité immédiate. Il souligne que ce peuple, si prompt à l’indignation, sait aussi se lasser vite et reprendre son quotidien. L’image d’une démocratie idéale, toujours prête à balayer les dirigeants compromis, est relativisée : Lincoln lui-même, rappelle Tesson, n’a pas été élu uniquement pour sa vertu, mais parce qu’il correspondait aux attentes d’un moment. Dans ce contexte, espérer que le scandale Watergate provoque une révolte salvatrice tient plus du vœu pieux que de la certitude.
L’ironie se double d’une réflexion plus profonde sur le rôle des institutions et de la presse. Oui, la presse a un rôle vital, celui de creuser, d’exposer, de maintenir la vigilance démocratique. Mais Tesson souligne qu’elle ne suffit pas : si les citoyens ne s’emparent pas de ces révélations, si le Congrès n’agit pas avec fermeté, Nixon pourrait bien demeurer à la Maison-Blanche. Le dessin qui accompagne l’article — Nixon en Napoléon sous le titre « Watergate ou Waterloo ? » — illustre cette ambivalence : la défaite semble proche, mais le président américain pourrait encore se rêver en stratège capable de transformer un désastre en victoire.
En définitive, l’article est à la fois sceptique et lucide. Sceptique face aux illusions d’une morale politique triomphante ; lucide quant à la capacité des institutions américaines à encadrer, plus qu’à renverser, un président. Tesson invite ses lecteurs à se méfier du sensationnalisme et à observer la réalité crue du pouvoir : Nixon, malgré ses mensonges et ses compromissions, pourrait bien durer. En 1973, cette prudence critique tranche avec l’enthousiasme de nombreux commentateurs persuadés d’assister à un effondrement imminent.





