N° 2778 du Canard Enchaîné – 23 Janvier 1974
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Narcotic-bourreaux
Quand l’affaire Le Mire vire au cauchemar psychiatrique
L’article signé Bernard Thomas dans l’édition du 23 janvier 1974 du Canard enchaîné revient sur ce que la presse appelle alors « l’affaire Le Mire », un fait divers aussi dérangeant que révélateur des dérives possibles de la psychiatrie et de la médecine sous contrainte. L’histoire tient du roman noir : une jeune fille de 18 ans, Béatrice, est attirée par son père dans un guet-apens, séquestrée et soumise à une véritable entreprise de démolition psychique. Pendant 32 jours, elle subit électrochocs, isolement et injections de produits divers censés « la sauver », mais qui, à lire le récit, tiennent plus de la torture que du soin.
Bernard Thomas raconte cette descente aux enfers avec sa verve habituelle, alternant détails cliniques glaçants et piques ironiques. Tout y est : les « experts » se relayant pour affirmer que la jeune fille doit être « déconnectée » de ses propres sensations ; les médecins transformés en geôliers, dont certains semblent tirer un zèle suspect de leur fonction ; et, derrière eux, l’ombre paternelle, un « papa-maman » qui, sous prétexte de protéger, organise l’annihilation progressive de l’autonomie de sa fille. Le texte souligne l’ambiguïté d’un système où la parole médicale, parée d’autorité, peut basculer en instrument de domination.
La force de l’article est de montrer la mécanique d’emprise : tout est verrouillé, depuis le corps médical jusqu’aux dispositifs administratifs (contrôle des papiers, des déplacements, des voyages). Béatrice devient un objet manipulé au gré des volontés paternelles et des diagnostics complaisants. Thomas parle de « narcotic-bourreaux », une expression qui résume bien ce mélange de médicaments, de violences symboliques et physiques, et de dérives paternalistes. La médecine, censée guérir, se transforme en appareil d’asservissement.
À travers ce récit, le Canard ne se contente pas de dénoncer une injustice individuelle. Il interroge plus largement le pouvoir psychiatrique et la facilité avec laquelle la société délègue à quelques « experts » le droit de décider de la normalité d’un individu. Le cas de Béatrice Le Mire, en 1974, résonne avec les critiques de l’antipsychiatrie alors en plein essor, de Franco Basaglia en Italie à Michel Foucault en France. Le journal s’inscrit ainsi dans un climat intellectuel où la psychiatrie est perçue non seulement comme un outil thérapeutique, mais aussi comme un possible appareil de contrôle social.
L’article, enfin, met en scène l’absurdité de la situation : une jeune fille saine, décrite comme pétillante et autonome, se retrouve broyée par une machine institutionnelle. Derrière les sarcasmes de Thomas, le malaise est palpable : cette affaire illustre les dérives d’une médecine qui, au nom du bien, peut conduire à la destruction pure et simple de l’individu. En donnant à voir le quotidien sordide de Béatrice, Le Canard joue son rôle : secouer l’opinion, alerter sur les abus, et rappeler que la frontière entre soin et oppression peut être tragiquement fragile.