N° 2829 du Canard Enchaîné – 15 Janvier 1975
N° 2829 du Canard Enchaîné – 15 Janvier 1975
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On demande ennemi public n°1
Quand Kissinger cherche un adversaire sur mesure
Dans son article du 15 janvier 1975, Pierre Detif raille une Amérique en quête d’ennemi. Après la Corée, le Vietnam et l’échec des interventions militaires, voilà que Henry Kissinger, secrétaire d’État et conseiller de Gerald Ford, brandit la menace d’une « solution militaire » en cas de crise économique. Mais contre qui ? demande Detif. La logique est implacable : pour apaiser les tensions sociales et calmer la Bourse, il faut un adversaire extérieur. À travers cette chronique grinçante, Le Canard dénonce le réflexe guerrier d’un système incapable d’affronter ses contradictions internes.
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On demande ennemi public n°1
L’ennemi nécessaire de l’Amérique
L’article de Pierre Detif, publié le 15 janvier 1975, s’inscrit dans un contexte tendu : l’Amérique sort traumatisée de la guerre du Vietnam, minée par la crise pétrolière de 1973 et la récession qui s’installe. Pourtant, au lieu de prôner la retenue, Henry Kissinger évoque, dans une formule aussi vague qu’inquiétante, l’éventualité d’une « solution militaire » en cas d’« étranglement » économique. Gerald Ford, successeur de Nixon, surenchérit aussitôt. Pour Le Canard enchaîné, cette rhétorique ne fait que confirmer un réflexe typiquement américain : quand l’économie chancelle, chercher un ennemi extérieur pour ressouder la nation.
Detif démonte avec ironie cette mécanique. L’Américain moyen, dit-il, ne cherche pas nécessairement du pétrole bon marché ni des réformes sociales. Il veut d’abord échapper au chômage qui explose et à la chute de la Bourse qui l’appauvrit. Dans ce climat, l’idée d’une guerre apparaît comme une issue commode : tuer l’ennemi imaginaire, et les indicateurs économiques se redresseront aussitôt. La satire prend une tonalité amère : derrière les grands mots de Kissinger, il n’y a pas de stratégie géopolitique claire, seulement la peur de l’effondrement intérieur.
Le texte met en lumière une contradiction fondamentale : les États-Unis dépendent du pétrole arabe, mais ils cherchent un adversaire ailleurs, n’importe où, pourvu qu’il justifie une mobilisation. Cuba, le Vietnam, le Guatemala, peu importe : l’important est de transformer une crise économique en croisade militaire. L’illustration de Vázquez de Sola, montrant un Américain hilare prêt à dégainer contre tous les pays du globe, souligne ce cynisme.
Detif insiste sur la dimension sociale : les « Colored », premières victimes du chômage, subissent de plein fouet la crise tandis que la classe moyenne voit ses rêves s’effondrer. La guerre devient alors un exutoire symbolique, une manière de détourner la colère populaire. Comme toujours, ce sont les plus fragiles qui paient, pendant que les spéculateurs de Wall Street attendent le rebond.
En conclusion, le Canard alerte sur un danger universel : quand une grande puissance refuse de regarder en face ses propres failles économiques et sociales, elle fabrique un ennemi de toutes pièces. En 1975, ce constat résonne comme une critique de la politique américaine, mais aussi comme une mise en garde valable pour toutes les démocraties. L’ennemi public n°1, suggère Detif, n’est peut-être pas à l’extérieur : il se cache dans le cœur même du système économique.