N° 2839 du Canard Enchaîné – 26 Mars 1975
N° 2839 du Canard Enchaîné – 26 Mars 1975
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Seize mois d’embrouilles
Justice enlisée, micros enterrés
Seize mois déjà que l’instruction sur « l’affaire des micros du Canard » traîne en longueur, empêtrée dans les refus, les manœuvres dilatoires et les blocages administratifs. Roger Fressoz raconte avec une ironie glaciale comment la justice, loin de faire la lumière, semble se coaliser avec l’Intérieur pour brouiller les pistes. Entre lenteurs procédurales et pressions politiques, la vérité attend toujours son heure.
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Seize mois d’embrouilles
Quand la justice se voile la face
Dans ce long papier du 26 mars 1975, Roger Fressoz, alias André Ribaud, démonte avec minutie les méandres d’une instruction qui ressemble à un chemin de croix judiciaire. L’affaire des micros posés dans les locaux du Canard enchaîné en décembre 1973 aurait dû constituer un scandale d’État majeur : intrusion illégale de la D.S.T., violation manifeste du droit au secret des sources et, plus largement, atteinte à la liberté de la presse. Mais seize mois après, l’affaire s’enlise et rien ne semble progresser.
Fressoz décrit un système où chaque étape, loin de rapprocher de la vérité, ne fait qu’en retarder l’échéance. Le juge d’instruction Alain Bernard ordonne bien des confrontations, mais se heurte au refus obstiné des « plombiers » de la D.S.T. qui s’abritent derrière le secret-défense. Le ministère de l’Intérieur, dirigé par Michel Poniatowski, couvre ouvertement ses services, tandis que Jean Lecanuet, à la Justice, ménage la chèvre et le chou, au risque d’alimenter un climat de suspicion généralisée. La machine judiciaire tourne en rond, enchaînant reports et lenteurs procédurales.
L’ironie, que Fressoz manie avec son habituel talent, réside dans le contraste entre la gravité des faits et la désinvolture avec laquelle les autorités les traitent. On imagine mal plus flagrante violation de l’État de droit que cette intrusion policière dans un journal indépendant. Pourtant, au lieu d’un procès exemplaire, l’on assiste à une interminable partie d’échecs où chaque acteur politique cherche avant tout à protéger son camp.
Ce constat va au-delà d’une simple affaire d’écoutes. Pour le Canard, l’enjeu est celui de la liberté de la presse et du droit à l’information, deux piliers fondamentaux d’une démocratie digne de ce nom. Fressoz insiste sur la volonté manifeste des autorités de faire traîner l’instruction jusqu’à ce que les témoins se lassent, que les souvenirs s’effacent et que l’opinion publique, lassée elle aussi, détourne le regard. Une stratégie du pourrissement, en somme.
En publiant ce papier, le Canard rappelle que l’affaire reste une plaie ouverte dans la vie publique française. Car si la justice échoue à sanctionner une atteinte aussi frontale aux libertés, quel crédit pourra-t-on encore accorder à ses institutions ? Fressoz en fait un avertissement : en couvrant les abus d’État, les responsables politiques ne se contentent pas d’enterrer une affaire embarrassante. Ils contribuent à miner, pierre après pierre, la confiance dans l’État de droit.