N° 2842 du Canard Enchaîné – 16 Avril 1975
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Thieu reconnaîtra les siens
L’or de la débâcle vietnamienne
Bernard Thomas, dans son style corrosif, décrit la fin crépusculaire du régime de Nguyen Van Thieu, alors que Saigon s’effondre et que l’exil se prépare. Seize tonnes d’or, 384 millions de francs, s’envolent pour l’étranger tandis que le peuple vietnamien, sacrifié, trinque sous les bombes et la misère. Un portrait féroce d’une fuite en or massif.
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Thieu reconnaîtra les siens
Quand les lingots remplacent les hommes
Dans cet article du 16 avril 1975, Bernard Thomas met en scène le crépuscule pathétique d’un régime à bout de souffle, celui de Nguyen Van Thieu, président du Sud-Vietnam. Le titre, « Thieu reconnaîtra les siens », résonne comme une ironie cruelle : au moment où l’armée nord-vietnamienne approche de Saigon, les « siens » ne sont pas les civils hagards ni les réfugiés qui affluent par millions, mais bien les lingots d’or, soigneusement empaquetés et destinés à l’exil.
Seize tonnes d’or : voilà ce qui résume la fin d’un pouvoir nourri à la corruption, adossé à l’aide américaine et désormais lâché par ses protecteurs. L’article souligne la disproportion obscène entre la richesse accumulée et la misère de la population. Thomas rappelle que cet « impôt du désespoir » est prélevé directement sur le dos des Vietnamiens, « la livre de chair » de tout un peuple qui n’a plus que ses os pour nourrir la machine de guerre et les coffres de ses dirigeants.
Le texte vise également Washington. L’administration américaine, déjà décidée à se retirer, se livre à une ultime hypocrisie : accorder un milliard de dollars supplémentaires au Sud-Vietnam, ce qui équivaut « à beaucoup de lingots nouveaux ». Mais cette manne n’est pas destinée aux réfugiés, aux orphelins ni aux blessés ; elle sert à grossir les caisses de Thieu et de ses proches, à préparer une retraite dorée. Bernard Thomas raille l’attitude du président Ford, présenté comme désabusé mais complice, laissant filer l’or sans exiger de contrepartie humaine.
Le contraste est saisissant entre l’exil doré du président déchu et la détresse du peuple : civils fuyant sur les routes, orphelins abandonnés, cadavres squelettiques errant dans une guerre interminable. Thomas pousse le trait jusqu’à évoquer une « autre solution » : transférer une partie de cet or aux États-Unis pour prendre en charge les enfants vietnamiens. Mais il conclut, amer, que seuls les « Noirs, les Indiens et les Porto-Ricains » s’en occuperaient, tant l’Amérique blanche reste indifférente à la détresse de ses anciens protégés.
À travers cet article, Bernard Thomas ne se contente pas de dénoncer une corruption individuelle. Il inscrit la fuite de Thieu dans une logique plus large : celle d’un impérialisme cynique où les dollars valent plus que les vies humaines, où la débâcle militaire se solde en transactions bancaires, et où l’histoire retiendra moins la chute de Saigon que l’image de seize tonnes d’or chargées à la hâte dans un avion.