N° 2848 du Canard Enchaîné – 28 Mai 1975
N° 2848 du Canard Enchaîné – 28 Mai 1975
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Des poulets qui sentent le poisson, par Antoine Gourbeyre
Quand la PJ flirte avec les bas-fonds
La Police judiciaire, temple supposé de la rigueur et de l’ordre, se retrouve éclaboussée par un scandale aux relents de stupre et de corruption. Entre fréquentations douteuses, protections offertes à des maisons closes, compromissions avec des proxénètes et barbouzes trop bien informés, c’est toute une partie de l’institution policière qui se voit exposée. À travers ce récit grinçant, Le Canard met en lumière l’hypocrisie d’un ministère de l’Intérieur qui ferme les yeux, trop soucieux d’éviter qu’éclate un scandale dont les ramifications atteignent le sommet de l’appareil d’État.
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Des poulets qui sentent le poisson
Quand les gardiens de l’ordre deviennent ses fossoyeurs
L’article d’Antoine Gourbeyre illustre parfaitement l’art du Canard à débusquer les hypocrisies de la République. Derrière l’image d’une Police judiciaire garante de la loi, le lecteur découvre une institution minée par des pratiques honteuses : protections tacites à des bordels clandestins, collusion avec des proxénètes, fréquentations compromettantes et corruption organisée. Ce n’est pas un simple fait divers croustillant, mais un révélateur des dérives d’un appareil répressif devenu perméable aux tentations du pouvoir et de l’argent.
La figure de Katia, prostituée de luxe et indic des services, incarne cette ambiguïté : ses liens avec la PJ montrent combien la frontière entre police et délinquance pouvait se brouiller. Elle offrait ses services autant aux policiers qu’aux truands, rappelant que les proximités avec les « mondaines » servaient parfois de monnaie d’échange en matière de renseignement. L’ironie est totale : ceux qui prétendaient surveiller les lieux de plaisir étaient souvent leurs clients, voire leurs protecteurs.
Plus grave encore, l’article laisse entendre que ces compromissions n’étaient pas marginales, mais connues et tolérées par la hiérarchie. Le silence du ministère, qualifié de crise « morale », trahit en réalité une volonté de ne pas ébruiter un scandale susceptible d’éclabousser jusqu’au sommet de l’appareil d’État. La justice, en ouvrant une enquête, ne pouvait ignorer que ces affaires touchaient à des zones sensibles où se rejoignaient police, politique et services parallèles.
Car c’est bien là un autre fil rouge : la présence des « barbouzes », agents troubles qui gravitaient entre officines policières, réseaux de renseignement et milieux interlopes. Le Canard rappelle à demi-mot que cette culture du secret, héritée des années noires et des guerres coloniales, alimentait des connivences dangereuses. Dans ce climat, la frontière entre maintien de l’ordre et exploitation des bas-fonds devenait poreuse, transformant certains gardiens de la loi en protecteurs intéressés des trafics qu’ils étaient censés combattre.
La satire du titre – « Des poulets qui sentent le poisson » – résume avec cruauté cette inversion : quand la police se compromet trop avec les bas-fonds, elle en prend l’odeur. Le propos, en mai 1975, dépasse l’anecdote : il dit la perte de confiance dans une institution fragilisée par ses propres turpitudes. Et il souligne le rôle du Canard, seul capable de briser l’omerta qui entourait ces pratiques, en rendant public ce que les autorités préféraient taire.