N° 291 du Canard Enchaîné – 25 Janvier 1922
N° 291 du Canard Enchaîné – 25 Janvier 1922
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Le bon exemple de M. Schmoll
D’éminentes personnalités démissionnent de la Légion d’Honneur
Quand Louis Schmoll, chevalier d’honneur, décide de rendre sa médaille, voilà le Canard qui s’empresse d’applaudir… et d’en rajouter. Dans son édition du 25 janvier 1922, l’hebdomadaire mêle fait réel et canular, inventant de toutes pièces de prétendues lettres de démission signées Mabilleau, Boyer ou Salmon. Une parodie qui illustre à merveille sa méthode : s’emparer d’un événement authentique pour mieux en faire jaillir le ridicule des institutions et l’absurdité d’un système de décorations miné par le clientélisme.
Sécurité, dessin de Mat.
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L’article du Canard enchaîné du 25 janvier 1922 sur les démissions de la Légion d’honneur est un petit bijou de satire à double détente. Point de départ : la démission bien réelle de Louis Schmoll, chevalier décoré mais décidé à rendre sa croix pour des raisons de conscience. De quoi nourrir déjà quelques réflexions sur la valeur de cette distinction créée par Napoléon et devenue, un siècle plus tard, synonyme de clientélisme et d’arrangements politiques.
Mais le Canard ne s’en contente pas. Fidèle à son style, il pousse le trait en forgeant de toutes pièces d’autres lettres de démission. Et pas n’importe lesquelles : on y trouve Louis Mabilleau, figure de la Mutualité, Lucien Boyer, auteur de la Madelon de la Victoire, ou encore Salmon, compromis dans les affaires troubles du Ravitaillement. Chacun s’exprime dans un style pseudo-officiel, truffé d’absurdités ou d’aveux grotesques. Mabilleau, par exemple, prétend renoncer à sa cravate rouge parce qu’elle lui aurait été contestée par « des tas de gens » ; Boyer, lui, juge indigne de conserver sa croix après l’oubli de sa Madelon. Quant à Salmon, il revendique avec un sérieux feint ses interminables négociations sur les « pruneaux, sardines et confitures », restées curieusement ignorées des juges d’instruction…
Évidemment, aucune de ces missives n’est réelle. Mais le génie du Canard réside précisément dans cette capacité à mimer les formes de la presse sérieuse, jusqu’au style ampoulé des lettres administratives. Le lecteur de 1922, averti, ne s’y trompe pas : il rit du décalage entre l’emphase des propos et la vacuité, voire le ridicule, des motifs invoqués.
Ce procédé de mélange entre un fait avéré (la démission de Schmoll) et des faux documents satiriques illustre une constante de l’hebdomadaire : jouer avec les codes de l’information pour mieux en dévoiler la mécanique et montrer à quel point la « vérité officielle » peut être manipulée. C’est aussi une manière de tourner en dérision une institution dont le prestige, déjà écorné, fut encore affaibli par les compromissions de la Grande Guerre et les scandales de l’immédiat après-guerre.
En 1922, la Légion d’honneur, censée incarner l’excellence de la nation, apparaît ainsi sous les traits d’un décor de théâtre, où se côtoient anciens héros oubliés, profiteurs du ravitaillement et courtisans décorés au gré des circonstances. Le Canard se charge de lever le rideau, et de rappeler que derrière la croix rouge, il n’y a parfois guère plus que le poids du ridicule.





