N° 2949 du Canard Enchaîné – 4 Mai 1977
N° 2949 du Canard Enchaîné – 4 Mai 1977
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Du 1% qui rapporte
En mai 1977, Claude Roire s’attaque au “1 % logement” et à ses tuyaux percés: l’argent censé loger les salariés aurait servi à d’autres constructions, plus confortables et plus rentables. Au centre, l’OCIL, collecteur sous loi 1901, et un rapport de l’Inspection des finances qui dort “non publié” pendant que les cabinets ministériels se renvoient la balle. Spéculation, filiales, “études” facturées: le logement devient prétexte, la pierre devient caisse. Et le Canard demande: on continue, ou on coupe l’arrivée d’eau?
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Coulage dans le béton, coulage dans la caisse
Le « 1 % logement », sur le papier, c’est l’aumône obligatoire des patrons pour loger leurs salariés. Dans la réalité que raconte Claude Roire, c’est plutôt une tirelire énorme confiée à des mains très habiles… et très peu pressées de la rendre au bon guichet. Mme Waterman (alias Francine Gomez) le dit cash: « arnaque », « escroquerie nationale ». Le Canard, lui, enlève le couvercle et regarde où partent les pièces: pas seulement dans des murs, mais dans des montages, des filiales, des “opérations” qui sentent davantage la moquette de bureaux que le ciment des HLM.
Roire déroule un scénario d’époque: des milliards qui s’empilent, un rapport de l’Inspection des finances qui traîne “non publié” comme un cadavre administratif, et, dans les couloirs, des cabinets ministériels qui se renvoient la balle avec la douceur des gens qui n’ont pas envie qu’elle revienne en pleine figure. On va “aider”, promet-on. Traduction: on va surtout gagner du temps.
OCIL, association 1901… et boulangerie de bénéfices
Le personnage central, c’est l’OCIL, organisme collecteur du fameux 1%. Créé en 1953, présenté sous le costume respectable de la loi de 1901 (donc, en théorie, pas de commerce ni de profits), mais décrit comme une machine à faire exactement l’inverse avec une belle conscience de façade: “c’est dur de ne pas avoir de but lucratif dans la vie, alors on biaise”.
Et on biaise comment? Par le “self-service” immobilier: achats de terrains, opérations “vulgaires” de spéculation, bureaux ici, immeubles là… L’argent destiné au logement des salariés devient un carburant pour un autre sport national: la pierre qui rapporte. Le texte insiste sur un point savoureux et inquiétant: selon l’Inspection, l’activité réelle serait “plus importante” que ce que disent les comptes, avec des procédures douteuses, des bénéfices constatés qui se glissent hors champ, et une comptabilité si embrouillée qu’elle finit par ressembler à un rideau de fumée en papier carbone.
Le détournement poli: quand l’État tousse, le rapport s’endort
Le plus glaçant, ce n’est pas le soupçon. C’est la somnolence organisée autour du soupçon. Un rapport “dans les tiroirs” depuis des lustres, des “mousquetaires” des Finances qui n’auraient même pas les coudes franches pour le conclure, et une hiérarchie politique qui, au lieu de trancher, caresse le problème dans le sens du poil. Roire note cette élégance de salon: les hauts fonctionnaires parlent de “détournement de mission”, mais “trop polis”. En France, on peut baptiser un scandale avec une eau tiède et s’étonner ensuite qu’il ne bout pas.
Et pendant qu’on fait semblant d’être surpris, la maison continue à fonctionner. Le directeur général (nommé) ne sait plus quoi faire de centaines d’hectares, mais il sait très bien quoi faire des tuyaux: multiplier les structures, facturer des “études”, boucher des déficits en augmentant les honoraires. Le 1% devient une pompe à fric du patronat, et le salarié, celui qu’on devait loger, reste un prétexte qui patiente sur le palier.
Le “1 %” qui finit en fauteuil club
La satire est déjà dans le titre: “Coulage dans le béton”. On coule du béton, oui, mais on coule aussi le principe. Le dessin signé Cardon du fauteuil-bâtiment “spécial gros cul” résume tout: le dispositif censé construire des toits pour ceux qui bossent se transforme en siège moelleux pour ceux qui gèrent. Plus c’est massif, plus c’est confortable. Et plus c’est confortable, plus ça résiste aux rapports.
En creux, Roire pose la question qui fâche: si ce système est aussi poreux, pourquoi ne pas le supprimer et obliger l’argent à aller directement là où il était promis, au logement social? Dans le texte, l’idée claque comme une gifle administrative: ce n’est pas seulement une affaire de voyous, c’est une architecture. Et une architecture, ça ne s’arrête pas avec des mines contrites: ça se démolit.
Sur la durée: la vieille chanson de la “solidarité” patronale
Mai 1977, c’est la France des grands mots (crise, rigueur, emploi) et des grandes combines qui survivent très bien aux grands mots. Le “1%” est né dans l’après-guerre pour répondre à une urgence sociale. Vingt-quatre ans plus tard, Roire montre une dérive typique: l’outil d’intérêt général capturé par des intérêts très particuliers, avec bénédiction passive de l’État, parce qu’on appelle ça “partenariat” quand ça marche, et “complexité” quand ça dérape.
Au final, la charge de Roire vise moins un organisme qu’un réflexe: transformer une contribution obligatoire en terrain de jeu, puis s’indigner que le public trouve le jeu truqué. Un vrai scandale, écrit-il. Et on comprend pourquoi: ce n’est pas le béton qui coule, c’est la confiance.





