N° 295 du Canard Enchaîné – 22 Février 1922
N° 295 du Canard Enchaîné – 22 Février 1922
79,00 €
En stock
LATZARUS CONTRE COTY
Le divorce de Figaro
Quand le parfum vire au scandale : en février 1922, le Canard enchaîné ouvre ses colonnes à une querelle publique entre François Coty, magnat de la parfumerie et nouveau propriétaire du Figaro, et Louis Latzarus, rédacteur en chef évincé. Insultes, accusations de malhonnêteté et règlements de comptes s’étalent en première page, transformant un conflit éditorial en spectacle de foire. Un révélateur des tensions entre l’argent et la presse dans l’après-guerre.
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
L’édition du Canard enchaîné du 22 février 1922 consacre sa une à un affrontement retentissant : celui qui oppose François Coty, le célèbre parfumeur, à Louis Latzarus, alors rédacteur en chef du Figaro. Derrière cette querelle, c’est toute une époque qui transparaît, marquée par la montée en puissance des grands industriels dans le monde de la presse et la résistance d’une génération de journalistes attachés à une certaine idée de l’indépendance.
En janvier 1922, Coty rachète le Figaro pour plusieurs millions de francs, s’assurant la mainmise sur un quotidien prestigieux, organe de la bourgeoisie conservatrice. Ce rachat symbolise une tendance forte de l’entre-deux-guerres : l’entrée du capital privé dans le champ médiatique, avec pour corollaire l’instrumentalisation politique et idéologique des journaux. Coty, monarchiste, nationaliste, entend faire du Figaro une tribune à sa mesure. Latzarus, lui, s’y oppose frontalement.
Le Canard, toujours prompt à exploiter les divisions du camp d’en face, propose alors un duel journalistique inédit : publier côte à côte les deux versions des protagonistes. Latzarus accuse Coty de s’emparer du journal comme d’une boutique, guidé par ses seuls intérêts financiers, et d’user de méthodes indignes pour asseoir son pouvoir. Il multiplie les formules assassines, dénonçant un « parfumeur » qui se croit maître d’école et un propriétaire « peu honnête » incapable de diriger une rédaction. De son côté, Coty se défend en homme d’affaires sûr de lui : il reproche à Latzarus ses propres turpitudes passées, ironise sur sa carrière et conclut sur une note paternaliste, lui proposant presque une réconciliation autour d’un verre.
Ce face-à-face est savoureux, car il condense les tensions du monde de la presse dans les années 1920. L’indépendance journalistique, souvent proclamée, est mise à mal par la dépendance financière des journaux. Coty incarne l’argent-roi, capable de transformer un quotidien en outil de propagande. Latzarus, figure de l’intellectuel-journaliste, représente une tradition critique qui, malgré ses limites, se veut garante d’une certaine liberté d’expression.
En publiant cette querelle en pleine lumière, le Canard joue un double rôle. D’un côté, il s’amuse à faire spectacle d’un règlement de comptes entre « bourgeois », offrant à ses lecteurs un savoureux feuilleton. De l’autre, il met en scène une critique implicite de la presse de grand tirage, trop souvent livrée aux intérêts économiques. L’affaire Coty-Latzarus devient ainsi une parabole : derrière l’anecdote personnelle, c’est le rapport entre argent et information qui est questionné.
L’épisode illustre aussi une transition : celle d’une presse d’opinion vers une presse d’industrie. Coty ne sera pas le seul à utiliser son empire financier pour peser sur l’opinion. Dans les décennies suivantes, de nombreux titres tomberont dans l’orbite de grands groupes, préparant une évolution qui résonne encore aujourd’hui.
En 1922, le Canard rappelle que la satire est aussi un outil de dévoilement. En laissant s’exprimer ces deux adversaires, il fait du journalisme un miroir grossissant, où les contradictions de la presse bourgeoise se révèlent au grand jour. Et le lecteur, amusé, comprend qu’au royaume du papier, l’indépendance ne tient souvent qu’à un fil – celui de la bourse d’un parfumeur ou de la plume d’un rédacteur en disgrâce.
Louis Latzarus (1878-1942)
Louis Latzarus, né en 1878 à Paris et mort en 1942, est un journaliste et écrivain français, connu pour sa plume caustique et ses polémiques. Issu d’un milieu bourgeois cultivé, il se tourne très tôt vers le journalisme politique et littéraire, collaborant à plusieurs titres de la presse parisienne de la Belle Époque.
Sa carrière prend une ampleur particulière au Figaro, où il devient rédacteur en chef dans l’immédiat après-guerre. Fin polémiste, il se distingue par des éditoriaux incisifs et par une volonté affichée de préserver l’identité du quotidien face aux bouleversements du monde médiatique des années 1920. Mais cette indépendance se heurte à la montée en puissance des grands capitaines d’industrie qui investissent dans la presse.
En 1922, Louis Latzarus se retrouve au cœur d’un affrontement avec François Coty, parfumeur milliardaire et nouveau propriétaire du Figaro. Latzarus dénonce les méthodes de Coty, son mépris pour la tradition journalistique et son projet de transformer le quotidien en organe au service de ses ambitions politiques. Le conflit éclate publiquement et s’étale jusque dans les colonnes du Canard enchaîné (22 février 1922), où Latzarus et Coty règlent leurs comptes en direct, chacun par article interposé.
Cet épisode, hautement symbolique, marque la fin de la collaboration de Latzarus avec le Figaro. Le journaliste poursuit ensuite sa carrière dans d’autres publications, et publie également plusieurs essais et ouvrages consacrés à la littérature et à la société française.
Mort en 1942, Louis Latzarus laisse l’image d’un journaliste intransigeant, attaché à une conception exigeante de la presse, mais aussi celle d’un homme de lettres au style piquant, emblématique d’une génération prise entre la liberté de plume et la dépendance croissante aux puissances financières.





