N° 2952 du Canard Enchaîné – 25 Mai 1977
N° 2952 du Canard Enchaîné – 25 Mai 1977
19,00 €
En stock
L’affaire des micros : Tiens, voilà un juge !
En 1977, l’affaire des micros du Canard devient surtout l’affaire d’une justice priée d’être indépendante… sans déranger. Roger Fressoz épingle l’aveu du président de l’Union syndicale des magistrats, démonte la fable de la “triste obligation” du non-lieu, et se paie Peyrefitte en grand médecin du “mal judiciaire” : beaucoup de crédits, zéro liberté. Entre veto illégal, mandats d’amener rangés au placard et appel qui piétine, un portrait au vitriol d’un État qui écoute, puis demande au juge de ne rien entendre.
Édition du 25 mai, mais datée du 26 mai.
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
Les « micros » et la muselière
Chronique d’un non-lieu qui fait du bruit
Au printemps 1977, la France giscardienne a la voix douce et la main lourde. Elle modernise en vitrine, elle gère “au centre” en discours, et elle continue, en coulisses, à confondre l’État avec ses services, ses réflexes, ses secrets. Dans ce décor, Roger Fressoz ne raconte pas seulement “l’affaire des micros” du Canard. Il s’amuse (jaune) d’un spectacle plus vaste : une justice priée de rester indépendante… tant qu’elle ne gêne personne.
L’aveu de Braunschweig, président de l’Union syndicale des magistrats, sert de starter. Il reconnaît qu’on a pu “objectivement douter” de l’indépendance de la magistrature à l’occasion de trois dossiers : l’affaire de Broglie, l’affaire Abou Daoud, et l’affaire des micros du Canard. Le plus piquant, c’est que l’aveu est présenté comme un geste de lucidité, presque courageux, alors qu’il arrive “même après coup”, quand la bagarre est finie, les coups rangés, les bleus maquillés.
Trois affaires, un même refrain
Le pouvoir joue, la justice accompagne
Fressoz enchaîne les cas comme on coche des symptômes : un ministre de l’Intérieur qui annonce une affaire “résolue” alors que l’instruction n’a même pas commencé ; une affaire Abou Daoud où le gouvernement fait de la cour d’appel un accessoire de théâtre, humiliant et utile ; et, cerise sur la bande magnétique, l’affaire des micros du Canard, où l’on s’étonne que la farce devienne judiciaire et que la magistrature, elle, se sente scandalisée… mais poliment.
La cible n’est pas seulement “le pouvoir”. C’est la mécanique. Celle qui fait que l’exécutif peut donner des “instructions”, entraver des témoins, et laisser ensuite au juge le soin de signer le papier qui dira : circulez, il n’y a rien à entendre.
Tiens, voilà un juge… couché
L’“obligation” de ne pas voir
L’ironie centrale de Fressoz tient en un mot qu’il retourne comme un gant sale : “obligation”. Braunschweig parle d’une “triste obligation” ayant conduit le juge Pinsseau à rendre un non-lieu dans l’affaire des micros. Et Fressoz, perfide comme un greffier qui aurait lu le Code en diagonale exprès, répond : obligation, vraiment ? Triste, sans doute. Obligation, non.
Il rappelle que le juge était placé “devant un veto illégal”, et qu’il avait “le droit et les moyens” de passer outre. Autrement dit : il pouvait faire son métier au lieu de faire le paillasson. Même la solution est servie sur un plateau : Roland Dumas suggère de délivrer des mandats d’amener contre les policiers de la DST et leurs chefs “récalcitrants”. La gendarmerie, nous dit Fressoz, aurait exécuté ça avec un plaisir de gosse qu’on lâche dans un magasin de sifflets.
Le tableau est cruel : la justice possède des outils, mais elle les tient comme des objets coupants, de peur de se blesser elle-même… ou plutôt de peur d’égratigner le pouvoir. Le petit cabochon au centre (un juge-chat, dormant paisiblement) fait office de morale illustrée : la robe, c’est pratique, on peut aussi s’en faire un plaid.
Peyrefitte, guérisseur officiel du “mal judiciaire”
Des crédits, des potions… et la laisse
Arrive alors le ministre de la Justice, Alain Peyrefitte, en visite au congrès, médecin de l’âme institutionnelle. Il promet des crédits, des greffiers, des “potions”, des “clystères” (Fressoz n’est pas venu pour la tisane). Mais quand il s’agit d’indépendance, il n’y a plus personne au guichet. Pire : le ministre enjoint la magistrature à “respecter scrupuleusement les prérogatives des autres pouvoirs constitutionnels”. Sous-titrage Fressoz : si ces prérogatives conduisent au déni de justice, la justice n’a qu’à exécuter, se taire, et ne pas se plaindre.
C’est là que l’article dépasse l’anecdote des micros. Il met le doigt sur une contradiction durable : on réclame au juge l’indépendance comme on réclame au chien de garde d’être féroce… à condition qu’il ne morde jamais la main qui le nourrit.
Et la gauche, alors ?
La question qui claque, la réponse qui manque
Fressoz termine en lançant une pierre dans la vitrine des espérances : “Vous croyez que la gauche, quand elle sera au pouvoir, changera tout ça ?” Rien n’est résolu, tout est insinué. L’indépendance n’est pas un bouton “ON/OFF” qu’on actionne selon la couleur du gouvernement ; c’est une habitude, une architecture, un courage administratif au quotidien. Et c’est précisément ce que son post-scriptum rend comique et sinistre : cinq mois après l’appel du Canard contre le non-lieu, l’avocat général chargé de “trouver un président et une date” n’y arrive toujours pas. La justice sait parfois être rapide, surtout quand elle freine.





