N° 2953 du Canard Enchaîné – 1 Juin 1977
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La gauche aurait-elle des atomes trop crochus ?
Le 1er juin 1977, André Ribaud sort le compteur Geiger politique: la gauche, jadis vent debout contre la force de frappe, se découvre soudain des “atomes crochus” avec la bombe. Opportunité électorale, crédibilité de gouvernement, ou glissade technocratique? Entre “instance qualifiée” à huis clos, secret d’État et démocratie sous cellophane, Ribaud raille un revirement qui sent le vestiaire… et prévient: à force d’éviter le débat public sur le nucléaire, on fabrique une bombe à retardement.
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La gauche, l’atome… et le grand crochet
Dans cette une du 1er juin 1977, André Ribaud pose une question qui claque comme une gifle à poudre: la gauche aurait-elle des atomes trop crochus ? Traduction canardienne: après avoir longtemps regardé la « force de frappe » comme un péché capital (militaire, moral, budgétaire), voilà que les chefs de la gauche se découvrent une tendresse subite pour la bombe, version « garantie d’indépendance nationale ». Le tout au moment précis où l’opinion, elle, se met à froncer le sourcil radioactif. Ribaud pointe l’élégance du timing: l’opportunité, ce parfum que la politique porte mieux que le savon.
Un revirement qui sent le vestiaire
Le sel de l’article, c’est ce contraste entre les textes d’hier et les mines d’aujourd’hui. Dans le Programme commun, militants et sympathisants avaient avalé des phrases “définitives”: renoncer, arrêter, reconvertir… et hop, circulez, plus de champignon à l’horizon. Or quelques mois avant des élections, le “définitif” devient du “nuançable”, puis du “réexaminable”, puis du “mais enfin, c’est compliqué”. Le pacifisme, quand il se met en cravate, finit toujours par demander un miroir.
Ribaud n’accuse pas seulement d’inconstance: il suggère un truc plus gênant, presque intime. Si l’on avait condamné la force de frappe comme « moralement condamnable, économiquement ruineuse, militairement inutile », comment la même chose peut-elle devenir, sans rougir, un parapluie tutélaire indispensable ? À ce rythme, même la ligne Maginot reprendrait des couleurs: “inutile hier, rassurante demain”, avec un joli ruban tricolore.
Les “mandarins de l’atome” et la démocratie sous cellophane
Le cœur de la charge, c’est la manière. Au lieu d’un vrai débat public, on nous promet une « instance qualifiée » qui tranchera, quelque part entre un comité directeur et une salle des machines, du côté de Nantes. L’atome, ce machin qui engage des décennies, se retrouve traité comme un différend de copropriété: trois experts, deux sous-amendements, et on range la démocratie dans un tiroir à plomb.
Ribaud élargit le tir: cette façon de décider “au-dessus”, sans Parlement, sans télévision, sans contradiction, n’est pas seulement une combine d’appareil. Elle ressemble à une tentation de régime. Car une société qui se dote d’une industrie nucléaire tentaculaire (du civil au militaire, du surgénérateur au “Super-Phénix” bricolé à huis clos), se dote aussi d’une culture du secret, de la discipline, de la peur du “risque”. Et quand la peur devient méthode, la liberté se met à parler bas.
La bombe comme cure de crédibilité
Pourquoi ce virage, alors ? Ribaud répond en ricanant: la crédibilité électorale. Gouverner demain oblige à ne plus insulter ce qu’on héritera après-demain. La gauche, qui se voyait déjà aux commandes, découvre soudain que l’État n’est pas livré avec option “reset”. La force de frappe est là, l’armée est là, la diplomatie est là. On peut promettre de “changer la vie”; on change plus difficilement l’uranium en poésie.
Et c’est là que l’ironie devient méchante: le pouvoir en place, rendu “aveugle et sourd”, jubile de voir ses adversaires venir sur son terrain. Rien de tel qu’un sujet sacralisé pour piéger une opposition: soit elle reste fidèle à ses slogans et passe pour irresponsable; soit elle se rallie et passe pour opportuniste. Dans les deux cas, le gouvernement gagne un point, et la gauche perd un morceau de voix, ou un morceau d’âme.
Au bout du compte: débat, ou bombe à retardement politique
Ribaud finit en avertisseur incendie: à force de repousser la discussion, on fabrique une future crise en chaîne. Car l’atome, au-delà des doctrines, c’est une question de société: secret ou transparence, centralisation ou contrôle, industrie ou risque, indépendance ou dépendances nouvelles. Si la gauche veut gouverner, qu’elle assume une chose simple: convaincre. Pas dans un comité, pas dans une arrière-salle, mais au grand jour, là où les citoyens ont encore le droit de comprendre avant d’être “protégés”.
Et si elle ne le fait pas, elle aura peut-être des atomes crochus… avec le pire: une politique décidée par les seuls “mandarins”, au nom du peuple, sans le peuple. Radioactif, ça.





