N° 2954 du Canard Enchaîné – 8 Juin 1977
N° 2954 du Canard Enchaîné – 8 Juin 1977
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Bonjour, M. le ministre clandestin de l’Information !
En juin 1977, Le Canard renifle un parfum familier : le retour du ministère de l’Information… sans le ministère. Gabriel Macé raconte l’ascension du “petit Bassi”, chargé de fabriquer du “message” en série, officiellement via une “association”, officieusement en liaison quotidienne avec l’Élysée et Matignon. Antennes en province, lignes téléphoniques, “actions ponctuelles” ciblées : la propagande se fait légère, mais organisée. Et une vieille anecdote de sonnettes à boutons rappelle une vérité tenace : en France, l’information adore qu’on la “fasse venir”.
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Bonjour, M. le ministre clandestin de l’Information !
On avait cru, avec Giscard, assister à l’enterrement (définitif) du ministère de l’Information. Une jolie réforme d’apparat, façon vitrine propre, rideaux tirés, poussière sous le tapis. Et puis voilà que Gabriel Macé soulève le coin du lino et découvre le ministère… sans plaque sur la porte. Un ministère honteux, dit-il, qui planque son nom comme un mauvais locataire planque ses quittances.
Le prétexte est d’une simplicité biblique : “ils vont avoir besoin de propagande, dans les mois à venir”. Sous-entendu : après la claque municipale, il faut réapprendre à sourire en public sans montrer les dents qui grincent. Alors on invente une petite créature utile, le “petit Bassi”, jeune espoir de “démocratie avancée”, pas punk pour deux sous, mais très au point sur la manière de vendre du “rassurez-vous” en spray, avec option “brume légère sur les consciences”.
Un ministère sans ministère
Le tour est joli : surtout ne pas faire officiel. “Propagande ? fi, le vilain mot !”, s’indigne Bassi. Ce n’est pas un office, c’est une association. Ce n’est pas l’État, c’est “privé”. Ce n’est pas une armée, c’est une fanfare. Et pourtant, l’association a des “antennes” annoncées dans toutes les grandes villes, un local récupéré dans une administration (la Délégation à la Sécurité routière, loyers trop chers), des lignes téléphoniques en batterie (et d’autres “en attente”), et surtout des “instructions confidentielles” venues de l’Élysée et de Matignon pour que ministres et secrétaires d’État travaillent “en liaison quotidienne” avec le petit Bassi.
Privé, oui. Comme un yacht immatriculé au nom du chien, mais ravitaillé par la Marine.
Macé s’amuse de cette gymnastique morale : faire de la propagande en se bouchant le nez, la financer en jurant que ce sont “des dons”, et lui donner l’allure d’un club civique. Le tout sur des “actions ponctuelles” ciblées (P.M.E., femmes, artisans, etc.) : la propagande en petits cubes, ration ménagère, distribuée au bon segment comme on sert la soupe au bon étage. L’époque adore les “publics”, les “cibles”, les “messages”. La politique devient un supermarché, et le citoyen un chariot qu’on pousse avec des slogans.
La sonnette à boutons, ou la liberté de la presse en version carillon
La chute, page 8, est un petit bijou d’ironie noire. Macé convoque Alain Peyrefitte et son Mal français, chapitre “L’État informateur”. Et l’anecdote de Christian de La Malène exhibant, sur son bureau, une batterie de boutons de sonnette : l’huissier, le chef de cabinet, et… les patrons de la R.T.F., de la presse parlée et télévisée, de la radio, des programmes. Une télécommande de l’information avant la télécommande, avec l’esprit château et le geste châtelaine : “je sonne, ils montent”.
On comprend mieux l’obsession canardesque : le pouvoir n’a pas seulement envie d’être entendu, il veut choisir la voix, le ton, l’heure, le décor. Il veut une presse libre, comme on veut un chien “libre” dans le jardin : qu’il coure, d’accord, mais sans franchir le portail.
Et Macé pousse la logique jusqu’au vertige : si Bassi a les mêmes boutons, qu’il évite de prendre Hersant comme adjoint. Non par scrupule démocratique, mais par réflexe de survie : au bout d’un mois, l’adjoint aurait pris la place, et le “ministre clandestin” serait devenu… carrément propriétaire des sonnettes. Là, on ne parle plus d’“association”, mais de serrurerie.
1977, ou l’art de repeindre l’air
Le contexte, en filigrane, est limpide : une majorité qui a peur de 1978, un président qui promet la modernité mais raffole des vieilles manettes, un Élysée qui se veut au-dessus des partis tout en organisant, très concrètement, l’intendance de l’opinion. “Vous disiez, Giscard ? Vous avez développé les libertés, et en particulier la liberté de la presse ?” La question claque comme un rideau qu’on tire : on voit enfin qui est derrière la fenêtre.
Ce que Macé raconte, au fond, c’est la tentation permanente du pouvoir français : quand la réalité résiste, on ne la corrige pas, on la commente. Et si le commentaire ne suffit pas, on le subventionne. Discrètement, bien sûr. Avec des dons. Et des sonnettes.





