N° 2959 du Canard Enchaîné – 13 Juillet 1977
N° 2959 du Canard Enchaîné – 13 Juillet 1977
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Beignes dans l’huile…
En juillet 1977, la Bourse s’amuse d’une OPA, tandis que Claude Roire plonge la cuillère dans une huile bien plus épaisse : celle des connivences. Autour de la Compagnie de Navigation Mixte, la BNP (banque nationalisée) apparaît en protectrice musclée, capable d’enterrer un dossier, d’aider un armateur à “bousculer” la proie, et de laisser traîner la justice dans les cordages. Avec Lesieur en arrière-plan, “beignes” et “huile” deviennent une méthode : frapper, glisser, camoufler.
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Beignes dans l’huile… et règlements de comptes à la BNP
1977 : la crise en toile de fond, la Bourse en vitrine
On est au mitan des années Giscard-Barre, celles où l’on explique au pays qu’il faut se serrer la ceinture pendant que certains se contentent de se graisser les gants. Chômage qui grimpe, industries qui toussent, et, pendant ce temps-là, la Bourse de Paris se divertit d’une OPA comme d’un match de boxe gratuit : ça cogne, ça s’insulte à coups de pages de pub, ça promet “l’ordre” et ça fabrique surtout du bruit.
Roire cueille cette contradiction à la louche, et la louche trempe dans l’huile. Normal : au centre du bocal, il y a Michel Lesieur (les huiles du même nom), condamné pour publicité mensongère, et, pour lui tenir la serviette, la BNP, banque nationalisée et “la plus puissante”. Le dessin de Kerleroux résume l’ambiance : des bateaux sur une mer d’huile… “ça me donne une idée”. Dans ce journal, l’idée mène rarement à une méditation.
La “Mixte” : un soap maritime, sponsorisé par l’argent public
Le cœur de l’article, c’est la Compagnie de Navigation Mixte, “la Mixte”, et la manière dont une banque publique se retrouve à faire, sinon la police, du moins le coach et l’agent de sécurité d’intérêts très privés. Depuis deux ans et demi, des dirigeants de la Mixte accusent la BNP et Lesieur de “louches combinaisons financières”. On promettait donc une clarification, un expert, une lumière crue.
Et voilà que “pour se venger” (le mot compte), la BNP aide un gros armateur, Delmas-Vieljeux, à bousculer la Mixte via une offre publique d’achat. Traduction canardeuse : quand le dossier devient gênant, on change la musique et on monte le son. L’OPA fait diversion, occupe les gazettes, envoie les actionnaires courir derrière le cours comme des canards derrière une baguette. Et, pendant que le public regarde la vitrine, l’arrière-boutique réarrange les bocaux.
Dossier enterré, parfum suisse
Roire insiste sur le vieux fond de sauce : une demande d’expertise, un tribunal qui traîne, et des chiffres qui sentent le caveau humide. On parle de placements en Suisse, de devises, de milliards “anciens”, d’une filiale helvétique (Banexi) qui apparaît comme une porte latérale commode. On lit aussi, entre les lignes, une mécanique très française : quand l’argent est public, les risques deviennent “systémiques”, donc sans responsable identifiable, mais avec des amis très identifiables.
Là où l’article est vicieux (au bon sens du terme), c’est qu’il ne se contente pas d’accuser : il montre une méthode. La BNP ne serait pas seulement dans l’histoire, elle serait dans le décor, dans les accessoires, dans le rideau. Et, surtout, elle aurait le luxe de choisir quand on enquête et quand on enterre.
Des récidivistes, des juges somnolents, et une banque en tenue camouflée
Le passage “Des récidivistes” élargit la cible : ce n’est pas “une affaire”, c’est une habitude. La BNP aurait déjà été épinglée, déjà “révélée” par le Canard via Banexi, déjà frôlée par des histoires de bilans, de faux-semblants, de prudence comptable à géométrie variable. Et la justice ? Dans cette comédie, elle a parfois le rôle du figurant qui bâille derrière le décor.
Le trait le plus acide de Roire, c’est cette idée que la banque, parce qu’elle est énorme, publique, incontournable, peut se permettre le luxe de la récidive tranquille. Elle n’a pas besoin d’être innocente : il lui suffit d’être imprenable. Alors elle attaque en diffamation, elle poursuit, elle “camoufle”. Ce n’est plus une institution financière, c’est un char d’assaut qui aurait emprunté un guichet pour passer incognito.
La morale de la friture
“Beignes dans l’huile”, c’est un titre qui colle aux doigts : on y entend la bagarre (les beignes) et la glissade (l’huile), autrement dit la violence et l’impunité. Le papier raconte une France où l’on nationalise des banques pour servir l’intérêt général… et où l’intérêt général finit parfois en simple argument publicitaire, coincé entre deux encarts.
Dans la mare aux Canards, Roire remue une vérité stable : quand la finance se déguise en arbitre, c’est souvent qu’elle a déjà choisi le vainqueur. Et quand les bateaux flottent sur une mer d’huile, ce n’est pas la météo : c’est la cuisine.





