N° 2964 du Canard Enchaîné – 17 Août 1977
N° 2964 du Canard Enchaîné – 17 Août 1977
19,00 €
En stock
La grande manif du Larzac : Tu Causses, tu Causses et ça marche !
Août 1977: Lamalle revient du Larzac furieux. 50 000 personnes sur un plateau, des milliers de voitures, et pourtant pas de casse, pas de lacrymos, pas même un képi dans le décor: l’ordre public fonctionne… quand on ne cherche pas la bagarre. En miroir, Malville et ses CRS, ses blessés, son mort: deux manifs, deux traitements, une même question qui griffe. Et puis l’armée “sans armes”, piétinant un terrain “sacré”, comme si l’uniforme n’avait plus que le symbole à défendre. Cardon résume: un arbre dont les racines neutralisent un char.
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
Quand le Larzac fait l’école buissonnière à l’armée
Dans ce Canard du 17 août 1977, Jacques Lamalle revient du Larzac “révolté” et, fidèle au parfum maison, il ne s’indigne pas à demi. Ce qu’il raconte, c’est moins une manif qu’un test grandeur nature: qu’arrive-t-il quand une foule nombreuse, bigarrée, déterminée, se tient debout sans casser? Réponse de l’époque: on cherche quand même la casse… quitte à la fabriquer dans le discours.
Le Larzac, depuis le début des années 70, c’est la querelle d’un plateau contre l’extension d’un camp militaire. Mais en 1977, avec Giscard à l’Élysée, le sujet s’est élargi: c’est devenu un bras de fer sur le sens même de “l’ordre”. L’ordre, est-ce l’obéissance au décret ou l’organisation collective sans heurts? Lamalle, lui, observe une chose simple et assassine: quand les manifestants sont disciplinés, c’est le pouvoir qui se met à trépigner.
“Tu Causses” et ça marche: la France des plateaux contre la France des bureaux
Le titre claque comme une enseigne: “Tu Causses, tu Causses et ça marche!” Le Causse, ici, n’est pas un décor pastoral, c’est une machine à dégonfler les postures. Là où l’État aimerait voir une jacquerie, Lamalle décrit une cohabitation improbable et plutôt exemplaire: “écolos, anars, non-violents tous azimuts, ouvriers, soldats des comités…” Bref, un inventaire à la Prévert qui, au lieu de finir en bagarre, tient 36 heures sans “grenades offensives”, sans lacrymos, sans manches de pioche. Rien que ça: une foule qui réussit le calme, donc qui humilie l’imaginaire officiel.
Et Lamalle pousse le sarcasme là où ça fait mal: si ça a si bien “circulé” sur les routes de France, c’est que les gendarmes ont aidé. Des milliers de voitures “sans bouchon, sans casse”, et pas “un seul képi à l’horizon”. La provocation est nette: l’ordre public existe quand il veut. Il suffit de décider de ne pas jouer au bowling avec les crânes.
Malville, le contre-exemple qui accuse
Le papier se sert d’un contraste brûlant: Malville, juillet 1977, contre Superphénix, avec blessés, bagarres, un mort, et des CRS “main dans la main” avec les gendarmes mobiles… parfois “même à l’arrachée”. Lamalle ne discute pas seulement la violence, il discute son usage politique: d’un côté une manifestation traitée comme un champ de bataille; de l’autre, le Larzac laissé respirer, presque encadré, sans apocalypse policière. Conclusion implicite: l’émeute n’est pas toujours un accident, c’est parfois une méthode.
Et là, le texte fait un croche-pied à la rhétorique sécuritaire: si l’État sait éviter le pire sur les routes du Larzac, pourquoi le pire surgit-il ailleurs? La question n’est pas “qui sont les manifestants”, mais “à quoi sert la matraque”.
L’armée sans armes: quand le symbole déraille
La partie la plus acide arrive quand Lamalle décrit cette “troupe de va-nu-pieds” foulant le “sol sacré” d’un terrain militaire réservé “par décret”. “Et cela sans armes.” Dans quel but? Pour démontrer que “l’infanterie redevenait la reine des batailles”? Lamalle tire une flèche empoisonnée: voilà une subversion contre… la “stratégie nucléaire”! Autrement dit, l’armée joue au théâtre de la souveraineté au moment où la souveraineté se prétend atomique. On piétine du terrain quand on ne sait plus quoi défendre.
Et l’anecdote du commandant du camp, avec sa “résidence secondaire” près d’un terrain militaire et son “si on m’expropriait je me battrais”, est traitée comme un aveu de fatigue morale. Le texte insinue: on ne tient pas un pays au garde-à-vous si même les gardiens menacent de mordre la main qui signe les ordres.
Lamalle termine dans une image volontairement basse: “Ils ont pissé comme des bêtes pour marquer leur territoire.” La vulgarité n’est pas gratuite: elle sert à dire que, quand la politique se réduit à l’occupation et au symbole, on revient vite aux réflexes de meute. Et “même pas au garde-à-vous”: l’uniforme perd sa verticalité, il reste la flaque.
L'arbre de Cardon: la nature qui désarme le métal
Le dessin de Cardon, cet arbre dont les racines s’insinuent dans un char, fait l’éditorial en silence. Ce n’est pas “la nature contre l’armée” en carte postale. C’est pire: c’est le temps long contre l’urgence autoritaire. Les racines n’explosent rien, elles infiltrent. Elles rendent le char inutile, doucement, obstinément. Exactement comme le Larzac: pas besoin de renverser l’État, il suffit de lui retirer, centimètre par centimètre, la certitude d’avoir raison.
Et derrière la blague du titre, la leçon de 1977 est limpide: quand une contestation non violente devient massive, le pouvoir n’a plus que deux options. Entendre… ou s’inventer des ennemis. Lamalle observe que l’époque penche dangereusement vers la seconde, avec cette idée commode qu’il faut toujours “une plainte”, “un crédit de l’État” à protéger, une offense à brandir. Comme si la République, pour respirer, avait besoin d’un coupable en permanence.





