N° 2967 du Canard Enchaîné – 7 Septembre 1977
N° 2967 du Canard Enchaîné – 7 Septembre 1977
19,00 €
En stock
Du « France » à la mafia israélienne
Un paquebot nommé « France », des ailes nommées El Al, et au milieu Sammy Flatto-Sharon, héros de satire au passeport multiple: Patrice Vautier raconte une époque où les symboles nationaux servent de décors à la cavalerie internationale. Transformer le « France » en casino flottant, c’est peut-être offrir à l’argent sale son bain moussant de respectabilité. Et quand les “milieux” frôlent les notables, la combine cesse d’être un fait divers: elle devient un système. À lire pour le rire… et pour l’arrière-goût.
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
La ligne de Flattoson
Quand un escroc tente de faire du « France » une bouée… de sauvetage
En 1977, l’époque a le chic pour transformer les symboles en épaves. D’un côté, un paquebot baptisé « France », totem de prestige et de subventions, qui ne sait plus très bien s’il doit voguer, rouiller ou se déguiser en carte postale. De l’autre, Sammy Flatto-Sharon, personnage à la frontière du roman-feuilleton et du dossier d’instruction, que Patrice Vautier traite comme un poisson pilote de la combine internationale: il nage dans les eaux troubles, et il a même l’air d’y faire des longueurs.
Ce que l’article raconte, au fond, ce n’est pas seulement « un type louche de plus ». C’est l’irrésistible rencontre entre deux fictions nationales: la grandeur industrielle (le paquebot, la compagnie aérienne, les ailes, la vitrine) et la grandeur… de la cavalerie (l’argent qui disparaît, réapparaît, se parfume à la respectabilité, puis se refait une beauté à l’étranger). En plein giscardisme, ça fait une belle croisière: champagne à table, mazout dans la cale.
Un paquebot, un casino, un lave-linge
L’idée est d’une élégance d’escroquerie: si le « France » ne sert plus à transporter des passagers, qu’il transporte au moins des capitaux, même déguisés en jetons. Vautier pousse le trait: le paquebot-casino deviendrait la version maritime du tiroir-caisse, un endroit où l’argent sale vient prendre un bain moussant de légalité. On entend presque le clapotis des billets: plouf, re-plouf, et hop, ça ressort « propre » grâce au miracle du décor et du tampon.
Le Canard a toujours aimé ces métamorphoses: l’objet public devient outil privé, le patrimoine devient planque, la vitrine devient arrière-boutique. Le « France » n’est plus un navire, c’est un alibi flottant. Et dans les années 1970, avec la crise, l’inflation et les grands airs de rigueur, l’alibi a de l’avenir: on coupe dans le social, mais on garde une place en première classe pour les combines.
La “mafia” comme mot-valise, la politique comme lessiveuse
Vautier enchaîne ensuite sur les réseaux criminels présentés comme “mafia israélienne” dans l’article, et c’est là que le papier est le plus venimeux… et le plus révélateur de son époque. Le terme fait bloc, il colle une étiquette géographique sur des pratiques qui, elles, n’ont pas de drapeau: trafic, recel, corruption, proxénétisme, et surtout ce mélange très 1970s entre truands et notables, où l’on frôle le pouvoir comme on frôle un portemonnaie dans le métro.
Le Canard suggère une mécanique vieille comme la Ve République: quand les réseaux prospèrent, ils ne le font pas seulement “contre” l’État, mais parfois “avec” ses angles morts, ses complaisances, ses amitiés, ses services rendus. Le passage sur les “hupés” (généraux, maires, hauts fonctionnaires) n’est pas une décoration: c’est la pièce maîtresse. Sans la respectabilité en costume, la crapulerie reste un fait divers; avec, elle devient un système, donc une histoire nationale.
Et puis il y a le miroir gênant: Vautier note que ces milieux “flirtent” avec le pouvoir en place, comme d’autres flirtent avec le SAC côté français. Traduction canardeuse: les bandes changent d’accent, la tentation reste la même. On ne moralise pas, on constate: la République déteste le scandale, mais adore les réseaux… tant qu’ils sont utiles.
Sammy en député, la cavale en costume trois-pièces
La chute est assassine: Flatto-Sharon, déjà décrit comme un “super-Stavisky” moderne, passe du statut de fugitif à celui de personnage “présentable”, jusqu’à l’idée qu’il pourrait servir de parrain, d’intermédiaire, de financeur, bref d’homme-orchestre du louche. C’est le cœur du ricanement: dans cette pièce, la cavale n’est pas une fuite, c’est une promotion.
Et si l’on rit, c’est un rire un peu jaune: parce que la satire vise aussi notre besoin collectif de croire qu’un homme “arrange l’affaire” à coups de relations, de promesses et de valises, pendant que les symboles du pays, eux, cherchent un emploi. Le “France” qui hésite entre l’eau et l’air, c’est la France qui hésite entre l’honneur et le bricolage. Vautier ne tranche pas: il montre le bricolage en train d’enfiler des gants blancs.





