N° 303 du Canard Enchaîné – 19 Avril 1922
N° 303 du Canard Enchaîné – 19 Avril 1922
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La Lanterne du Bouif
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Le 19 avril 1922, Le Canard enchaîné publie sous la plume de Georges de La Fouchardière un billet où satire et religion s’entremêlent dans une farce publicitaire. À travers une discussion fictive avec un commissaire goguenard, l’auteur se moque des liens troubles entre foi, commerce et communication. Entre œufs de Pâques, affiches de morue, et encarts pour l’Urodonal, la chronique illustre un moment où la République, la presse et l’Église s’affrontent, mais aussi s’accommodent, sur fond de marchandisation du sacré.
Feuilleton du Canard enchaîné : Le Géant déchaussé, par Pierre Benoît
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La chronique de La Fouchardière publiée dans Le Canard enchaîné du 19 avril 1922 s’intitule avec ironie « À titre de publicité ». Sous ce prétexte, l’auteur détourne le discours publicitaire en instrument satirique. L’échange entre le narrateur et un commissaire inventé prend la forme d’une farce dialoguée : la justice s’y inquiète de l’« affaire du boudin » et des « convictions » de l’accusé, mais la discussion dévie rapidement vers les absurdités de la propagande ecclésiastique et les scandales commerciaux.
Au début des années 1920, la France est marquée par un double climat. D’une part, la République cherche à réaffirmer son autorité face à une Église catholique encore influente, malgré la loi de séparation de 1905. D’autre part, la société de consommation émerge : affiches, slogans, produits « miracles » envahissent l’espace public. La Fouchardière se saisit de ces deux fils pour montrer leur collusion : les marchands de morue s’acoquinent avec les curés, les papes bénissent en creux les œufs de Pâques, et jusqu’à l’Urodonal, un médicament très en vogue, se retrouve associé aux images pieuses.
Le ressort comique tient à la juxtaposition incongrue des registres. La foi se voit réduite à un argument marketing, les miracles se confondent avec les réclames, et le pape Pie XI devient presque un homme-sandwich malgré lui. L’humour, grinçant, sert une critique politique : dans cette France meurtrie par la guerre, où l’on demande encore aux citoyens des sacrifices financiers et moraux, les institutions, qu’elles soient religieuses ou républicaines, paraissent elles-mêmes gangrenées par la publicité et le commerce.
Le texte illustre aussi l’art de La Fouchardière, plume majeure du Canard. Son style incisif et théâtral, volontiers dialogué, joue sur le contraste entre gravité des institutions et trivialité des images. Le commissaire qui s’indigne du boudin noir, ou l’auteur qui imagine des commissions pontificales se prononçant sur les œufs en chocolat, révèlent l’absurdité d’un monde où la politique et le religieux se confondent avec l’industrie alimentaire.
Enfin, l’article doit être replacé dans le contexte de l’anticléricalisme mordant de l’entre-deux-guerres. En 1922, Rome n’a pas renoncé à son influence diplomatique et culturelle en France, et les polémiques sur le rôle du Vatican, notamment dans l’éducation et la presse, sont vives. Le Canard enchaîné, fidèle à sa ligne, choisit de répondre non par un traité mais par une charge satirique, où les croix, les encens et les slogans se dissolvent dans le brouhaha du marché.
Ainsi, derrière la plaisanterie sur l’Urodonal et la Gyraldose, se dessine une critique plus large : celle d’une société où le sacré lui-même se retrouve avalé par la machine publicitaire. La Fouchardière fait rire, mais il alerte aussi : quand tout devient marchandise, de la religion à la santé, c’est la démocratie elle-même qui s’expose au ridicule.
L’Urodonal, un « médicament miracle » très prisé des satiristes
Dans les années 1910-1920, l’Urodonal est un produit pharmaceutique en vogue, promu comme remède contre l’acide urique et les « maladies modernes » (goutte, rhumatismes, fatigue). Ses campagnes publicitaires massives, envahissant journaux et affiches, en font l’un des symboles de la nouvelle société de consommation.
Le Canard enchaîné, comme d’autres feuilles satiriques, s’en empare rapidement pour tourner en dérision cette omniprésence : l’Urodonal devient un running gag, un produit universel qu’on imagine prescrit pour tout et n’importe quoi. Dans l’article de La Fouchardière du 19 avril 1922, il est même offert symboliquement par « l’Urodonal » au pape Pie XI, manière de ridiculiser à la fois la publicité envahissante et les compromissions entre commerce et religion.
Cet humour en dit long sur l’époque : les journalistes satiriques voient dans ces médicaments-miracles une métaphore de l’illusion collective. Comme l’Urodonal promettait de guérir tous les maux, la propagande politique et religieuse prétendait résoudre toutes les crises – quitte à n’être qu’un emplâtre sur une société encore profondément marquée par la guerre.