N° 31 du Canard Enchaîné – 31 Janvier 1917
N° 31 du Canard Enchaîné – 31 Janvier 1917
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Les “As” de la presse
Le 31 janvier 1917, Le Canard enchaîné s’en prend avec verve aux vedettes du journalisme de l’arrière. Sous la plume d’Henry de la Ville-d’Avray (Maurice Maréchal), l’article « Les “As” de la presse » dresse un parallèle ironique entre les as de l’aviation et ces critiques militaires ou politiques qui, depuis leurs bureaux parisiens, abattent chaque semaine des milliers de lecteurs. L’exemple du général Cherfils, plume martiale de L’Écho de Paris, illustre cette satire : ses articles seraient si assommants qu’ils envoient plus sûrement au cimetière que les balles allemandes.
Madame était sortie, dessin de Lucien Laforge
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Avec « Les “As” de la presse », paru dans Le Canard enchaîné du 31 janvier 1917, Maurice Maréchal frappe l’un de ses coups les plus cruels contre la presse de l’arrière. Alors que les véritables « as » sont les pilotes de chasse qui tombent quotidiennement au front, le journal s’amuse à attribuer ce titre glorieux aux journalistes parisiens dont les articles « terrassent » leurs lecteurs.
L’exemple choisi est celui du général Cherfils, critique militaire attitré de L’Écho de Paris. Le récit tourne à la farce macabre : un pauvre lecteur, retrouvé mort rue Montmartre, serait en réalité tombé non d’une congestion mais sous l’effet foudroyant d’un article du général. Le Canard pousse la logique jusqu’à dresser un bilan imaginaire : trente mille victimes, rien que pour Cherfils, depuis le début de la guerre.
Ce procédé de satire par exagération est typique du style de Maréchal sous le masque de « la Ville-d’Avray ». L’ironie s’appuie sur une observation juste : la presse belliciste multiplie des chroniques martiales, souvent répétitives, qui lassent plus qu’elles n’éclairent. L’article transforme donc l’ennui du lecteur en cause de mortalité — charge d’autant plus mordante qu’elle intervient au moment où les vrais bilans du front sont accablants.
Mais derrière le rire perce une critique plus large : celle de la presse alignée, qui s’érige en censeur et stratège depuis l’arrière. Le Canard, lui, se veut la voix des poilus et des lecteurs sceptiques, en refusant de confondre propagande et information.
Avec ce texte, le journal confirme qu’il n’épargne personne : ni les généraux, ni les politiques, ni leurs relais médiatiques. L’« as de la presse » n’est pas un héros, mais un tueur… d’ennui.
Qui était le général Cherfils ?
Un général de plume plutôt que de tranchée
Le « général Cherfils » (de son vrai nom Camille Rousset, parfois orthographié Cherfils dans la presse) fut l’une des plumes militaires les plus connues de la Belle Époque et de la Grande Guerre. Bien plus homme de lettres qu’homme de terrain, il n’a pas marqué l’histoire par des campagnes militaires, mais par ses chroniques martiales publiées notamment dans L’Écho de Paris.
Une figure de la presse patriotique
Pendant la guerre, ses articles se veulent rassurants et stratégiques : il commente les opérations, trace des perspectives optimistes, exhorte à la confiance. Mais pour de nombreux lecteurs, ce ton docte et répétitif finit par incarner la presse de l’arrière, éloignée des réalités du front et enfermée dans une rhétorique creuse.
La cible du Canard
C’est précisément ce décalage que Le Canard enchaîné exploite. En le surnommant « as de la presse », il fait de Cherfils un double ironique des véritables as de l’aviation : au lieu d’abattre des avions ennemis, il « descend » ses lecteurs à coups d’articles soporifiques. La satire repose sur un retournement cruel : les morts attribués à Cherfils ne sont pas des soldats allemands, mais des abonnés terrassés par l’ennui.
Une critique plus large
À travers Cherfils, c’est toute une presse « sérieuse » et patriote qui est visée. Ses articles, saturés de certitudes, servent la propagande plus qu’ils n’informent. Le Canard dénonce ainsi la collusion entre journalistes et état-major, en choisissant une cible facile à ridiculiser : un général de salon, dont l’arme est la plume, mais qui tire à blanc.