N° 315 du Canard Enchaîné – 12 Juillet 1922
N° 315 du Canard Enchaîné – 12 Juillet 1922
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Les grands chefs noirs sont à Paris – On va les acclamer au jardin d’Acclimatation
Le jardin d’acclimatation réservé aux animaux, accueille une « exposition » coloniale de grands chefs noirs, qui durera jusqu’en 1931. Le 12 juillet 1922, Le Canard enchaîné consacre une page à l’arrivée à Paris de plusieurs « grands chefs noirs », venus assister à une cérémonie patriotique. Sous couvert de reportage, l’article illustre le regard paternaliste et exotisant porté par la presse française sur les délégations coloniales, à une époque où la République se glorifiait des « troupes noires » mobilisées pendant la Grande Guerre. Ce texte, enjoué en apparence, dit beaucoup du climat abjecte colonialiste et des représentations dominantes d’alors.
Le jour de boire est arrivé…,dessin de Varé.
– déchirure sur le bord droit avec manque, restaurations –
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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L’article publié en page 3 du Canard enchaîné du 12 juillet 1922, sous le titre « Les grands chefs noirs sont à Paris », s’inscrit dans un contexte où la France vit encore à l’heure du triomphe colonial. La guerre de 1914-1918 a profondément modifié le regard porté sur les troupes issues de l’empire, notamment l’Afrique subsaharienne : près de 200 000 « tirailleurs sénégalais » avaient été envoyés sur le front, dont beaucoup périrent dans les tranchées. Leur sacrifice avait été largement instrumentalisé pour vanter la puissance de l’« empire français », tout en renforçant une vision hiérarchisée et condescendante des populations colonisées.
Le Canard, qui mêle humour et ironie, reprend ici les codes de l’époque, mais sur un mode distancié qui mérite attention. Le reportage décrit l’arrivée des « chefs noirs » en gare de Lyon, sous l’œil des officiels et des journalistes. Les dignitaires africains sont identifiés par leurs noms et leurs titres – tel le roi de Mauritanie Bouelniogod, ou divers représentants du Sénégal, du Dahomey et de la Côte d’Ivoire – mais réduits à des silhouettes pittoresques. Le texte insiste sur les costumes, les « burnous éblouissants de blancheur », les « turbans » ou les « regards effarés » des accompagnatrices. L’imagerie exotique prime sur la dimension politique et diplomatique de leur présence.
Le passage sur le Jardin d’Acclimatation, où ces chefs sont conduits, ajoute une pointe de cruauté ironique : le lieu était encore marqué, au début du XXᵉ siècle, par la mémoire des « exhibitions ethnographiques » qui y furent organisées (jusqu’aux années 1930). Les visiteurs parisiens, suggère l’article, viendront contempler les « chefs noirs » comme autrefois on allait voir des « curiosités humaines ». Le trait satirique est visible dans la chute : « Après quoi on les remettra dans leur cage et ils seront expédiés à Marseille ». Derrière l’ironie, la critique perce : la République célèbre ses alliés africains, mais les traite toujours en sujets d’exposition.
Historiquement, cette réception s’inscrit dans les débats du moment : en 1922, la France, vainqueur de la guerre, est au sommet de sa puissance coloniale. La « Conférence de l’Empire » de la même année cherchera à resserrer les liens avec les colonies. Mais les promesses d’égalité faites aux combattants restent lettre morte : ni droits politiques ni amélioration sociale durable ne sont accordés.
Le Canard, en reprenant les clichés raciaux du temps tout en les poussant à l’absurde, renvoie le lecteur à cette hypocrisie : célébrer l’« empire français » tout en continuant à enfermer ses représentants symboliques dans une cage d’exotisme et de paternalisme.
Ce texte, lu aujourd’hui, témoigne autant de l’ampleur des stéréotypes coloniaux que de la capacité du journal satirique à en souligner, par l’exagération, la dimension ridicule et scandaleuse. Derrière l’apparente fantaisie, il met en lumière une contradiction centrale de l’époque : la République se proclame universelle, mais continue à penser l’autre comme un spectacle.





