N° 321 du Canard Enchaîné – 23 Août 1922
N° 321 du Canard Enchaîné – 23 Août 1922
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Voilà maintenant que les femmes veulent des jeux Olympiques
En août 1922, Le Canard enchaîné s’amuse d’une revendication qui surprend encore : les femmes réclament leurs propres Jeux olympiques. Sous la plume d’Henri Bécriaux, l’idée est traitée sur le mode de la farce : caricatures de « sportswomen » musculeuses, dialogues savoureux, et un humour qui trahit les résistances d’une époque où l’égalité sportive n’était pas encore une évidence. Entre moquerie et inquiétude face aux amazones modernes, l’article illustre la difficile conquête des femmes dans l’arène sportive… et plus largement dans la société.
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Lorsque Henri Bécriaux consacre la une du Canard enchaîné du 23 août 1922 aux « Jeux olympiques féminins », la satire repose sur une actualité bien réelle : à l’époque, sous l’impulsion d’Alice Milliat, une pionnière du sport féminin, des compétitions internationales réservées aux femmes sont effectivement organisées. La première édition des « Jeux mondiaux féminins » doit d’ailleurs se tenir à Paris l’année suivante, en 1923, au stade Pershing. Mais du côté du Canard, la nouvelle est accueillie avec ce mélange de gouaille et de scepticisme qui caractérise l’entre-deux-guerres.
Le journal tourne en dérision ces « sportswomen » décrites comme des amazones brandissant javelots et haltères. Le vocabulaire employé (« constitution physique », « godillots ferrés », « godillots pesants ») frôle la caricature de caserne. L’humour repose sur le contraste entre l’image traditionnelle de la femme « élégante » et ces nouvelles figures athlétiques, perçues comme inquiétantes. Ainsi, Bécriaux note non sans ironie : « Leur race est vraiment curieuse et mériterait une étude approfondie », comme si ces pionnières sportives appartenaient à une humanité à part.
Le Canard s’attarde aussi sur le langage des sportives, avec des interjections en anglais (« Ready ! All right ! Corner ! »), soulignant à la fois l’influence des sports anglo-saxons et le décalage culturel ressenti par un public français encore attaché à une vision traditionnelle des loisirs féminins. L’article décrit leur intrusion dans l’espace public, avec une scène burlesque où ces athlètes « lâchées dans Paris » défilent sur les boulevards, provoquant étonnement et amusement.
Derrière la plaisanterie, un enjeu de société transparaît : en 1922, la place des femmes dans la sphère publique reste limitée. Elles n’ont pas encore le droit de vote en France (il faudra attendre 1944), et leur émancipation passe par d’autres terrains : l’éducation, le travail, la culture… et désormais le sport. L’irruption des compétitions féminines représente une remise en cause des hiérarchies de genre, que le Canard commente à sa manière : en jouant sur l’exagération, en raillant la prétendue virilisation des femmes et en détournant les codes olympiques.
L’article fait également écho à la méfiance de l’époque face aux « excès » du sport. Les débats sur la santé, la féminité et la maternité traversent alors la presse : peut-on concilier compétition et rôle maternel ? Bécriaux se fait l’écho de cette inquiétude lorsqu’il imagine Miss Gibson affirmant que la boxe peut donner « de beaux enfants », avant d’être contredite dans un dialogue truffé d’absurdités.
Ainsi, le papier relève moins du simple gag que d’un témoignage sur les résistances rencontrées par le sport féminin dans les années 1920. Le Canard ne milite pas, il ricane ; mais ce ricanement en dit long sur une société où les « amazones » font encore figure de curiosités, à observer comme des phénomènes de foire.
Un siècle plus tard, la satire d’Henri Bécriaux rappelle le chemin parcouru. Si les Jeux olympiques féminins n’ont pas existé sous cette forme, l’intégration progressive des femmes aux Jeux officiels témoigne d’une conquête réelle. En 1922, pourtant, pour beaucoup, c’était encore une histoire de caricatures, de godillots et de quolibets.





